La biodiversité influence-t-elle les cycles des nutriments ?
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Eva Koller-France1*, Wolfang Wilcke2, Yvonne Oelmann1
1 Département de géographie / géoécologie, Université deTübingen, Tübingen, Allemagne
2 Institut de géographie et géoécologien Institut de Technologie de Karlsruhe, Karlsruhe, Allemagne
Tous les êtres vivants, y compris les humains, les animaux, les plantes ou les microorganismes, ont besoin des mêmes éléments pour vivre ; les plus importants sont l’azote et le phosphore. Comprendre comment ces éléments sont transformés dans l’écosystème est indispensable pour comprendre comment les écosystèmes fonctionnent et s’ils le font bien.
Une question que nous nous posons est de savoir si la diversité des organismes, comme les plantes ou les insectes, est importante pour expliquer les transformations (ou cycles) des nutriments. Quand les communautés de plantes sont composées de plusieurs espèces différentes, elles semblent utiliser plus efficacement les nutriments présents dans le sol, comparé à des communautés végétales avec peu d’espèces de plantes. On peut l’expliquer par un phénomène appelé complémentarité, qui fait que différentes espèces de plantes accèdent aux nutriments disponibles de différentes manières, par exemple à différentes profondeurs du sol. Dans cet article, nous allons explorer les relations entre la biodiversité des plantes et les cycles des nutriments, et discuter de l’implication de ces relations pour le fonctionnement global de l’écosystème.
POURQUOI S’INTERESSER AUX EFFETS DE LA BIODIVERSITE SUR LES CYCLES DES NUTRIMENTS ?
Tous les organismes sur terre ont besoin de certains éléments nutritifs. Dans les écosystèmes naturels, ces nutriments (parmi lesquels les plus importants sont l’azote et le phosphore) sont prélevés par les plantes dans le sol. Les plantes peuvent ensuite être mangées par des animaux ou par des humains. Les nutriments sont restitués au sol par les déjections animales ou quand les plantes ou les animaux meurent, pour être à nouveau prélevés par d’autres plantes. Parce que ces étapes se répètent à l’infini, on parle de cycles des nutriments. Selon les écosystèmes et les conditions environnementales, ces cycles peuvent être plus ou moins rapides, et les éléments nutritifs peuvent être utilisés de façon plus ou moins complète dans différentes parties de l’écosystème, ce qui peut causer des déséquilibres. Ainsi, quelquefois il y a plus d’éléments nutritifs qu’il n’en faut, soit parce que les agriculteurs ajoutent trop d’engrais au sol, soit parce les petits organismes du sol recyclent et libèrent dans le sol des éléments nutritifs à un moment où les plantes sont inactives et n’en ont pas besoin (par exemple à l’occasion d’une journée chaude en hiver).
S’il y a trop d’éléments nutritifs dans le sol, ceux-ci vont être lessivés, c’est-à-dire partir avec l’eau dans les nappes phréatiques, les lacs et les rivières. De là, ils vont être transportés vers des rivières plus grosses, puis finalement vers les mers et océans. Si ces milieux aquatiques reçoivent trop d’éléments nutritifs, cela peut provoquer une prolifération d’algues, qui est problématique pour ces milieux. Dans ce cas de figure, une quantité trop importante d’une bonne chose peut constituer un gros problème ! C’est pourquoi l’étude des cycles des éléments nutritifs est importante non seulement pour apprendre comment les écosystèmes fonctionnent, mais aussi pour nous aider dans des considérations pratiques, comme par exemple pour savoir comment protéger nos ressources en eau potable.
Nous savons que la biodiversité de l’écosystème, la richesse en espèces dans un écosystème, joue un rôle important pour beaucoup de fonctions ; nous savons aussi que la biodiversité diminue à l’échelle globale. Par exemple, certaines espèces d’abeilles ou de fleurs rares sont en train de disparaitre, et donc les écosystèmes hébergent aujourd’hui moins biodiversité que par le passé. C’est une des raisons pour lesquels nous nous intéressons aux effets des changements de biodiversité sur les cycles lesquelles des éléments nutritifs.
QUEL EFFET DE LA BIODIVERSITE SUR L’AZOTE DANS LE SOL ?
Le lien entre biodiversité et azote (sous forme de nitrates, qui est une forme de l’azote utilisée par les plantes) a été bien établi lors d’expériences qui étudiaient les effets de la biodiversité sur les écosystèmes [1]. Dans ces expériences, la diversité des plantes était étudiée en recréant de petits écosystèmes modèles (le plus souvent des prairies, ce qui est le plus facile à faire) avec un nombre connu d’espèces de plantes qui poussaient dans des conditions expérimentales identiques, par exemple dans un même champ. Ces écosystèmes étaient créés en semant un mélange spécifique de graines sur un carré de terre appelé parcelle expérimentale. Ces parcelles étaient régulièrement inspectées pour y supprimer les plantes qui n’avaient pas été semées. On pouvait ensuite comparer les résultats obtenus dans des parcelles expérimentales avec une diversité faible ou élevée, puisque la seule différence entre ces parcelles était le nombre d’espèces de plantes qui y poussent.
Dans ces expériences en prairies, nous avons observé que plus le nombre d’espèces de plantes était élevé et plus la concentration en azote dans le sol était faible, ce qui est assez facile à expliquer. Si les plantes prélèvent plus d’azote, cela signifie qu’il en « reste » moins dans le sol. Dans des écosystèmes relativement riches en azote, cela signifie aussi qu’il y a moins d’azote qui part, c’est-à-dire qui est lessivé, dans les eaux souterraines, ce qui protège la qualité de ces eaux et les écosystèmes d’eau douce.
Pour comprendre ces résultats, nous devons prendre en compte un autre effet important de la biodiversité des plantes sur leur croissance dans les écosystèmes qui ne reçoivent pas d’engrais. Quand il y a une grande diversité de plantes, il y a généralement une biomasse végétale plus élevée, par exemple plus de foin produit dans une prairie. La production de cette biomasse demande plus d’azote ! Bien sûr, une autre façon de voir les choses serait de dire qu’une biomasse plus importante ne peut être produite que si les plantes ont accès à une quantité plus importante d’azote (et de tous les autres nutriments nécessaires). C’est là qu’entre en jeu le phénomène de complémentarité.
DIFFERENTES ESPECES TRAVAILLENT ENSEMBLE POUR ACCEDER AUX NUTRIMENTS
La complémentarité est un mécanisme par lequel différentes composantes d’un écosystème (par exemple différentes espèces) utilisent des ressources essentielles, qui sont souvent limitées, à des endroits ou à des moments différents. L’utilisation d’une ressource par une espèce est “complémentaire” de celle des autres espèces. De cette façon, la communauté des plantes est capable d’utiliser la ressource de manière plus complète. Dans notre exemple, la ressource utilisée est l’azote disponible dans le sol. Vous savez probablement que les plantes prélèvent les nutriments dans le sol à l’aide de leurs racines. Mais toutes les racines ne se ressemblent pas ! Certaines plantes ont des racines solides et longues, qui peuvent accéder au sol profond, mais qui ne sont pas trop ramifiées. D’autres plantes ont des racines superficielles, qui se développe dans le sol peu profond. En combinant juste ces deux types de plantes, vous pouvez voir que le premier type prélève l’eau et les nutriments en profondeur alors que le second prélève ces ressources dans le sol superficiel (Figure 1). Ces deux types de systèmes racinaires se complètent, ce qui leur permet d’utiliser une partie des ressources qui ne l’aurait pas été dans un système ne contenant que l’un ou l’autre type de plantes. Avec des systèmes racinaires complémentaires, les plantes produisent plus de biomasse, laquelle sert de nourriture pour les micro-organismes et les animaux. On dit que ces plantes utilisent des niches spatiales différentes. De la même façon, toutes les plantes ne poussent pas en même temps. Si une espèce de plante se développe au début du printemps et une autre ne commence à se développer qu’au début de l’été, alors ces deux espèces ne vont pas prélever l’essentiel des nutriments dont elles ont besoin en même temps. On dit alors que ces espèces ont des niches temporelles différentes, et là encore, elles accèdent aux nutriments et aux autres ressources de façon plus complémentaire que s’il n’y avait qu’un seul type de plantes. Ainsi, si non pas deux mais plusieurs types de plantes poussent ensemble en utilisant des niches spatiales et temporelles différentes, alors ces plantes pourront utiliser l’azote présent dans le sol de façon plus complémentaire, et il restera moins d’azote dans le sol.
DIVERSITE DES PLANTES ET PHOSPHORE DU SOL
On pourrait penser que l’effet de la biodiversité des plantes sur le phosphore du sol est le même que celui décrit ci-dessus pour l’azote. Tous deux sont des nutriments importants, et tous deux peuvent limiter la production de biomasse s’ils sont présents en quantité insuffisante. Toutefois, de façon a priori surprenante, cet effet n’a pas été observé pour le phosphore dans les expériences de biodiversité dans lesquelles on contrôle la richesse en espèces pour contrôler l’effet de la biodiversité sur les écosystèmes. Souvent, la concentration en phosphates (qui sont la forme chimique utilisable par les plantes) est si faible dans le sol qu’il ne peut tout simplement pas rester de phosphates dans le sol comme c’est parfois le cas avec l’azote. Mais la diversité des plantes a-t-elle tout de même un effet sur le cycle du phosphore ?
La réponse courte à cette question est oui, probablement. Nous savons que la biomasse de systèmes avec une plus grande diversité d’espèces est plus riche en phosphore, et que cet effet, comme pour l’azote, est dû à la plus grande quantité de biomasse produite qui résulte d’une plus grande quantité de phosphore prélevé par les plantes [2]. La question est donc de savoir comment des écosystèmes avec plus de diversité peuvent prélever plus de phosphates, même si on ne peut pas observer cet effet dans le sol.
Pour accéder aux phosphates dans le sol, les plantes et les microorganismes utilisent des enzymes (des substances qui facilitent certaines réactions chimiques) qui leur permettent de récupérer ces phosphates à partir de molécules chimiques plus complexes présentes dans l’humus, la partie organique du sol que vous connaissez aussi sous le terme de compost. Nous pouvons mesure la vitesse et l’effet des phosphatases, les enzymes qui permettent de rendre les phosphates accessibles, ce qui nous permet d’estimer quelle quantité de phosphates est libérée dans le sol pour leur utilisation par les plantes et les microorganismes. Dans les écosystèmes où la diversité végétale est plus élevée, nous avons trouvé une activité des phosphatases plus importante (Figure 1) [3]. Même si on ne peut pas observer un prélèvement de phosphore plus important dans les sols avec une diversité de plantes plus élevée comme c’est le cas pour l’azote, ce résultat indique qu’il y a un accès plus efficace au phosphore du sol par le biais d’une activité phosphatase plus élevée. C’est une des manières par lesquelles la biodiversité des plantes peut influencer le cycle du phosphore dans les écosystèmes.
L’IMPORTANCE DE LA BIODIVERSITE POUR LE FONCTIONNEMENT DES ECOSYSTEMES
Au final, qu’est-ce que tout cela implique ? Une hypothèse générale est que, avec les changements globaux en cours, de nombreuses espèces vont disparaître des écosystèmes, et que la biodiversité va continuer à décliner. Avec le déclin de la biodiversité, il est probable que les cycles de l’azote et du phosphore vont devenir moins efficaces, et donc les écosystèmes moins capables de conserver et recycler l’azote et le phosphore comme ils le faisaient auparavant. C’est un changement important pour les écosystèmes, et il pourrait contribuer à la baisse de la productivité des écosystèmes. Le déclin de la biodiversité pourrait aussi conduire à une perte plus importante de nutriments dans les écosystèmes, qui seraient alors lessivés vers les nappes phréatiques. Des nitrates en excès sont des polluants s’ils contaminent les eaux potables et peuvent aussi avoir des effets négatifs pour les écosystèmes aquatiques vers lesquels ils sont transportés, par exemple en causant la prolifération d’algues. Par ailleurs, ces nutriments ne sont alors plus disponibles pour les plantes, les micro-organismes et les animaux des écosystèmes dont ils sont originaires, conduisant à un appauvrissement en nutriments de ces écosystèmes qui sont alors moins capable de supporter les organismes qui y vivent.
GLOSSAIRE
Biodiversité
Pour dire simplement, le nombre d’espèces présentes dans un écosystème.
Biomasse
La masse totale présente dans les composantes de l’écosystème comme les plantes ou les animaux. Par exemple, la biomasse végétale, dont nous parlons dans cet article, peut être définie comme la matière organique vivante contenue dans les racines, les tiges et les feuilles et les fruits des plantes. Sous les climats tempérés, la biomasse n’est pas constante : elle augmente entre le printemps et la fin de l’été et diminue à l’automne.
Enzymes
Petite molécules qui accélèrent certaines réactions (bio-)chimiques dans ou à l’extérieur des cellules.
Productivité de l’écosystème
La quantité de matière organique, comme par exemple la biomasse des plantes, produite par l’écosystème dans un temps donné. Un bon exemple de la productivité est la quantité de blé ou de foin qui est récoltée dans un champ au cours d’une année.
RÉFÉRENCES
- Oelmann Y, Buchmann N, Gleixner G, Habekost M, Roscher C, Rosenkranz S, Schulze E, Steinbeiss S, Temperton VM, Weigelt A, et al. Plant diversity effects on aboveground and belowground N pools in temperate grassland ecosystems: Development in the first 5 years after establishment. Global Biogeochem Cy (2011) 25:2. doi:10.1029/2010gb003869
- Oelmann Y, Richter AK, Roscher C, Rosenkranz S, Temperton VM, Weisser WW, Wilcke W. Does plant diversity influence phosphorus cycling in experimental grasslands? Geoderma (2011) 167:178–187. doi:10.1016/j.geoderma.2011.09.012
- Hacker N, Ebeling A, Gessler A, Gleixner G, Macé OG, Kroon H, Lange M, Mommer L, Eisenhauer N, Ravenek J, et al. Plant diversity shapes microbe‐rhizosphere effects on P mobilisation from organic matter in soil. Ecol Lett (2015) 18:1356–1365. doi:10.1111/ele.12530
RÉVISION: Malte Jochum, German Centre for Integrative Biodiversity Research (iDiv), Germany
CITATION: Koller-France E, Wilcke W and Oelmann Y (2021) Does Plant Biodiversity Influence Nutrient Cycles? Front. Young Minds 9:557532. doi: 10.3389/frym.2021.557532
CONFLIT D’INTÉRÊTS: Les auteurs déclarent que cette recherche a été conduite en l'absence de toute relation commerciale ou financière qui pourrait être interprétée comme u conflit d'intérêt potentiel.
COPYRIGHT © 2021 Koller-France, Wilcke and Oelmann. This is an open-access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (CC BY). The use, distribution or reproduction in other forums is permitted, provided the original author(s) and the copyright owner(s) are credited and that the original publication in this journal is cited, in accordance with accepted academic practice. No use, distribution or reproduction is permitted which does not comply with these terms.
JEUNE RELECTEURS
MACKENZIE, 14 ans
Mon nom est Mackenzie. J'aime jouer et écouter de la musique, lire (en particulier de la fantasy) et faire du sport (mon préféré est le tennis). J'aime aussi les sciences, les maths et les langues, mais ce que je préfère c'est le camping.
ROSE, 14 ans
Salut. J'ai 14 ans et je vis au Canada. J'aime le tricot, le crochet et la lecture.
AUTEURS
EVA KOLLER-FRANCE
Eva est une écologue des écosystèmes qui s’intéresse aux effets des changements globaux sur les cycles du carbone et des nutriments dans les écosystèmes. Pendant ses années de doctorat, elle a arpenté l’Arctique pour étudier l’impact des changements environnementaux sur les liens entre les cycles du carbone et des nutriments. Elle est actuellement chercheure post-doctorale sur l’expérimentation de Jena (http://www.the-jena-experiment.de/) où elle étudie les effets à long terme de la diversité végétale sur les cycles de l’azote et du phosphore.
WOLFGANG WILCKE
Wolfgang Wilcke a étudié la géo-écologie à l’Université de Bayreuth : il est actuellement professeur de géomorphologie et de science du sol à l’Institut de Technologie de Karlsruhe (KIT) après avoir travaillé pour les universités de Berne et Berlin. Ses travaux de recherche portent sur les effets des changements environnementaux (y compris les changements climatiques, les changements d’usage des terres, les dépositions atmosphériques de nutriments, les pollutions et la perte de biodiversité) sur les cycles des éléments dans le sol et les plantes. Il utilise des analyses chimiques, des suivis à long terme de flux d’éléments et des approches isotopiques.
YVONNE OELMANN
Yvonne est une scientifique qui travaille en science du sol sur les cycles du carbone et des nutriments. Elle a effectué sa thèse de doctorat sur les effets de la diversité des plantes sur les cycles des nutriments dans le sol des prairies (http://www.the-jenaexperiment.de/). Pendant son séjour post-doctoral, elle élargit ses perspectives de recherche sur cette thématique en étudiant les écosystèmes forestiers complexes et l’impact des humains. Elle a été nommée professeur en 2011 et, depuis, travaille sur les cycles du carbone et des nutriments dans les prairies et les forêts partout dans le monde.
TRADUCTRICE
Nathalie Fromin.