Qui l'eût cru(cifère): même les choux peuvent avoir des hernies
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Edel Pérez-López*
Département de Phytologie, Faculté des Sciences de l’Agriculture et de l’Alimentation, Centre de Recherche et d’Innovation des Végétaux, Université Laval, Québec City, QC, Canada
Parmi les millions de micro-organismes qui peuplent les sols, certains peuvent être phytopathogènes, c'est-à-dire qu'ils peuvent causer des maladies aux plantes. Certaines maladies sont plus connues que d'autres. C'est le cas de la hernie des crucifères, un micro-organisme très atypique qui infecte les crucifères, comme le chou, le chou frisé, le colza et l’Arabette de Thalius, une plante de recherche répandue. Dans cet article, je vais vous en dire plus sur la hernie des crucifères et la maladie qu’elle cause aux plantes, car il reste encore beaucoup à découvrir sur cet agent pathogène. Peut-être que cela vous donnera envie de faire partie de notre laboratoire à l'avenir et d’étudier ce pathogène fascinant transmis par le sol.
UNE AFFAIRE DE PROTISTES ET DE PLANTES
Les sols sont vivants. Des insectes, des vers et des micro-organismes vivent dans le sol et nombre d'entre eux sont en étroite interaction avec les plantes. Ces interactions ne sont pas toujours avantageuses pour les plantes. La terre abrite également des créatures qui représentent un risque pour les plantes importantes sur le plan écologique et économique. Certains champignons et vers sont des agents pathogènes transmis par le sol bien connus des plantes, mais ils ne sont pas les seuls. Certains protistes sont également des agents pathogènes du sol, dévastateurs pour les plantes, bien qu'ils soient moins étudiés et moins connus. Les protistes sont des organismes unicellulaires qui ne sont ni des animaux, ni des plantes, ni des champignons.
Le pathogène de la hernie des crucifères, ou Plasmodiophora brassicae comme l'appellent les scientifiques, est un protiste qui affecte les racines des légumescrucifères, tels que le brocoli, le chou, le chou-fleur, la plante oléagineuse connue sous le nom de colza, et l’Arabette de Thalius (Arabidopsis thaliana)qui est couramment utilisée dans la recherche sur les plantes [1]. L'Arabette de Thalius et le colza sont des hôtes importants pour la hernie des crucifères, mais pour des raisons différentes (Figure 1). L'Arabette de Thalius est une plante très utile pour les scientifiques qui étudient divers aspects des plantes, tels que leurs génomes, leur écologie et leurs relations avec des micro-organismes bénéfiques ou des pathogènes [2]. Les plants d'Arabette de Thalius infectés par la hernie des crucifères constituent un modèle parfait pour étudier les effets de l'agent pathogène sur la plante.Une autre plante extrêmement importante d'un point de vue économique est le colza (figure 1). Le colza est la source de l'huile de colza, un produit utilisé dans de nombreuses cuisines à travers le monde.Rien qu'au Canada, le colza représente environ 26 milliards de dollars (CAD) pour l'économie canadienne, de sorte qu'un agent pathogène qui mettrait en péril la production de colza pourrait avoir des effets dévastateurs sur l'économie [1].
LE CYCLE DE VIE DE LA HERNIE DES CRUCIFÈRES
L'agent pathogène de la hernie des crucifères peut survivre dans le sol jusqu'à 20 ans au stade de spore inactive. Les spores sont des structures qui sont créées par certains agents pathogènes des plantes, qui sont libérées dans l'environnement et possèdent une paroi cellulaire épaisse qui leur permet de survivre pendant de nombreuses années dans le sol sans pouvoir infecter une plante. Si une plante réceptive pousse dans un sol contenant des spores de hernie des crucifères, les spores au repos se « réveillent », se transforment en zoospores et s'attachent aux racines de la plante, déclenchant ainsi une infection. Le processus d'infection se divise en deux phases : l'infection primaire et l'infection secondaire (figure 2A). Au cours de l'infection primaire, l'agent pathogène de la hernie des crucifères rencontre les racines et y pénètre, ce qui déclenche l'infection. Bien que l'infection primaire soit importante, c'est au cours de l'infection secondaire que la hernie des crucifères induit des galles, également appelées hernies, dans les racines des plantes vulnérables. Les galles sont des gonflements anormaux des tissus végétaux induits par des agents pathogènes ou des insectes. Les galles empêchent la plante d'absorber l'eau et les nutriments du sol et finissent par la faire mourir. Le cycle de vie de la hernie des crucifères se termine par la production de nouvelles spores dormantes, qui sont libérées dans le sol, prêtes à infecter une nouvelle plante.
En laboratoire, nous avons constaté que 21 jours après l'ajout de la hernie des crucifères dans le sol, les plantes vulnérables commencent à mourir. Le xylème et le phloème, qui sont les canaux utilisés par les plantes pour transporter l'eau et les nutriments, sont totalement bloqués. Il est également intéressant de noter que les galles causées par la hernie des crucifères sont assez similaires chez plusieurs plantes hôtes (figure 3).
COMMENT MAÎTRISER ET LUTTER CONTRE LA MALADIE DE LA HERNIE DES CRUCIFÈRES ?
Bien que la hernie des crucifères et la maladie qu'elle provoque aient été découvertes dans les années 1600, il reste encore beaucoup de choses que les scientifiques ne savent pas [1]. Pour lutter contre la hernie des crucifères, les agriculteurs ont utilisé des produits chimiques, tels que des fongicides, sans grand succès. La meilleure stratégie consiste à cultiver des plantes résistantes à la maladie de la hernie des crucifères. Cependant, après seulement quelques années, la hernie des crucifères développe de nouvelles stratégies pour infecter ces plantes résistantes, les rendant à nouveau sensibles à la maladie.
Nous essayons de combattre un ennemi que nous ne comprenons pas très bien. La première étape de la lutte contre la hernie des crucifères consiste donc à découvrir tous les secrets que cet agent pathogène cache. À l'Université Laval (Québec, Canada), les scientifiques progressent à grands pas vers la compréhension de la hernie des crucifères et de la maladie qu'elle provoque. Ils et elles veulent savoir comment la hernie des crucifères échappe au système immunitaire des plantes et comment elle arrive à provoquer la croissance des cellules pour former des galles. Leur objectif ultime est de développer des plantes résistantes à la hernie des crucifères, capables de survivre dans un champ, qu'il y ait ou non des spores de cette maladie. Peut-être que dans quelques années, vous, les jeunes esprits curieux qui lisez ces lignes, ferez partie de l'équipe qui se penche sur cet intrigant pathogène.
GLOSSAIRE
Agents pathogènes transmis par le sol
Microorganismes qui survivent et se déplacent dans le sol et qui peuvent rendre les plantes malades.
Protistes
Minuscules organismes unicellulaires qui ne sont ni des animaux, ni des plantes, ni des champignons.
Légumes crucifères
Légumes de la famille des Brassicacée, y compris de nombreux légumes-feuilles comme le chou-fleur, le chou, le chou frisé, le cresson, le pakchoï, le brocoli et les choux de Bruxelles.
Spore
Structure créée par la hernie des crucifères qui possède une épaisse paroi cellulaire lui permettant de survivre pendant de nombreuses années dans le sol lorsqu'elle n'est pas en mesure d'infecter une plante.
Galles
Gonflement ou excroissance anormale des tissus végétaux causée par des agents pathogènes microbiens ou des insectes.
RÉFÉRENCES
[1] Botero, A., García, C., Gossen, B.D., Strelkov, S.E., Toddd, C.D., Bonham-Smith, P.C. and Pérez López, E. 2019. Clubroot disease in Latin America: distribution and management strategies. Plant Pathol. 68: 827-833. +
[2] Krämer, U. 2015. Planting molecular functions in an ecological context with Arabidopsis thaliana. eLife. e06100.DOI:10.7554/eLife.06100
[3] Auer, S. and Ludwig-Müller, J. 2015. Biological control of clubroot (Plasmodiophora brassicae) by the endophytic fungus Acremonium alternatum. J Endocytobiosis Cell Res. 26: 46-49.
ÉDITÉ PAR : Helen Phillips
MENTOR SCIENTIFIQUES: Lynette Cheah
CITATION: Pérez-López E (2021) From the Soil to the Club in the Roots: Clubroot. Front. Young Minds 9:562915. doi: 10.3389/frym.2021.562915
CONFLIT D’INTÉRÊTS : Les auteurs déclarent que la recherche a été menée en l'absence de toute relation commerciale ou financière qui pourrait être considérée comme un conflit d'intérêts potentiel.
COPYRIGHT © 2021 Pérez-López. Il s'agit d'un article en libre accès distribué selon les termes de la Creative Commons Attribution License (CC BY). L'utilisation, la distribution ou la reproduction dans d'autres forums est autorisée, à condition que les auteurs originaux et les détenteurs des droits d'auteur soient mentionnés et que la publication originale dans ce journal soit citée, conformément aux pratiques académiques reconnues. Toute utilisation, distribution ou reproduction non conforme à ces conditions est interdite.
JEUNES RELECTEUR ET RELECTRICES
JUNIPER, ÂGE: 11 ANS
J'aime lire et programmer. J'aime aussi les animaux. Mes matières préférées à l'école sont les mathématiques et l'art.
AUTEURS ET AUTRICES
EDEL PÉREZ-LÓPEZ
Je suis professeur assistant au département des sciences végétales de l'Université Laval, à Québec, au Canada. Je suis originaire d'une petite ville agricole de Cuba et l'agriculture a toujours fait partie de ma vie. C'est pour cette raison que j'ai décidé d'étudier la biochimie et d'étudier les agents pathogènes qui affectent les plantes et l'agriculture. En 2018, lorsque j'ai appris pour la première fois l'existence de la hernie des crucifères et de sa maladie, je suis tombé amoureux de cet intriguant pathogène, qui occupe désormais une place centrale dans ma recherche. J'espère qu'un jour, l'un ou une d'entre vous, un esprit curieux lisant ceci, pourra faire partie d'Edelab (https://edelabcriv.com/) pour découvrir les mystères qui se cachent derrière les interactions entre les pathogènes et les plantes. *edel.perez-lopez.1@ulaval.ca
TRADUCTRICE
ALMA STEIREIF
Étudiante de master à l’université de Leipzig et au Centre allemand de recherche intégrative sur la biodiversité (iDiv).
FINANCEMENT (TRADUCTION)
L'équipe de Translating Soil Biodiversity remercie le Centre allemand pour la recherche intégrative sur la biodiversité (iDiv) Halle-Jena-Leipzig, financé par la Fondation allemande pour la recherche (DFG FZT 118, 202548816).