Protéger la biodiversité du sol : un travail salissant mais il faut bien que quelqu’un le fasse !
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Alberto Orgiazzi 1*
1 Commission Européenne, Centre commun de recherche, Ispra, Italie
La biodiversité du sol peut être définie comme l’ensemble des créatures, de toutes tailles et formes, vivant dans le sol, des micro-organismes aux animaux. La diversité du sol est extrêmement importante et, afin de la protéger, nous avons besoin de connaître où vivent les organismes du sol qui sont potentiellement en danger. Malheureusement, nous ne disposons pas de données sur la distribution de la plupart des espèces vivant dans le sol. Cependant, nous connaissons les menaces potentielles pour les sols et leurs habitants. Par conséquent, nous avons identifié les zones où les risques sont élevés et avons essayé de réduire ces derniers, nous permettant ainsi de protéger indirectement les organismes du sol. En suivant cette voie, nous avons cartographié le risque pour les micro-organismes et animaux du sol dans les 27 pays de l'Union européenne (avant le Brexit). Nos résultats mettent en évidence l'urgence d'agir, car les organismes vivant dans plus de 40% des sols sont fortement en danger dans la plupart des pays.
LA DIVERSITÉ DU SOL A DE L’IMPORTANCE
On estime qu’un quart de la vie sur notre planète vit sous nos pieds, dans le sol. La vaste gamme d’organismes vivant dans le sol est appelée la biodiversité du sol. Les organismes vivant dans le sol fournissent de nombreux services essentiels à l’humanité. Ils participent à la production de nourriture en aidant les plantes à croître, ils jouent un rôle clé en contrôlant les cycles des nutriments (surtout l’azote et le carbone) et donc dans la régulation du climat de la Terre. Parmi d’autres services moins évidents mais néanmoins cruciaux, nous pouvons citer la purification de l’eau, qui rend l’eau potable, ainsi que la production de substances ayant des usages médicaux importants. Par exemple, la plupart des antibiotiques, que nous utilisons de nos jours, proviennent des organismes du sol.
Malgré son importance, la biodiversité du sol est généralement oubliée lorsque l’on réfléchit à la manière de protéger la biodiversité sur la Terre. La plupart des projets actuels pour protéger la biodiversité ciblent uniquement les organismes vivant en surface. C’est aussi pas si facile de protéger la biodiversité du sol – c’est un travail salissant mais qu’il faut faire !
COMMENT PROTÉGER LA BIODIVERSITÉ DU SOL
Imaginez que vous êtes une super-héroïne ou bien un super-héro avec une nouvelle mission ardue : Vous devez sauver un groupe de mammifères, plantes, reptiles et insectes qui disparaîtra dans quelques jours. Si le groupe cible vit en surface, vous pouvez facilement localiser où la communauté en danger vit. Cela vous permet de créer une zone protégée – peut-être une sorte de clôture entourant l’espace dans lequel le groupe menacé survit. Mission accomplie : Vous avez protégé la biodiversité.
Cependant, il arrive souvent que la tâche ne soit pas aussi simple. Si vous devez protéger des organismes vivant sous terre, vous n’avez peut-être pas beaucoup d'informations sur leur identité ou leur lieu de vie. En effet, la plupart des espèces qui vivent sous nos pieds n'ont pas encore été découverte [1]. En outre, la biodiversité du sol est extrêmement complexe et va des micro-organismes du sol, invisibles à l'œil nu, à la pédofaune (= faune du sol), comprenant des animaux comme les vers de terre et les taupes. Par conséquent, il est extrêmement difficile, voire impossible, de déterminer avec précision où vivent les organismes du sol. Heureusement, il existe un autre moyen indirect de protéger la biodiversité du sol. Même si vous ne savez pas où vit un groupe d'organismes, vous pouvez déterminer les zones où les organismes du sol pourraient être menacés par des risques potentiels. Une fois que vous avez cartographié ces zones à haut risque, vous pouvez travailler à réduire les menaces qui affectent potentiellement vos organismes cibles. Mais ce n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît...
IDENTIFICATION DES RISQUES POUR LA BIODIVERSITÉ DU SOL
Bien entendu, toute mission se heurte à des difficultés. La protection indirecte de la biodiversité du sol doit surmonter trois obstacles principaux.
Premièrement, nous devons comprendre les principales menaces qui pèsent sur la biodiversité du sol. De nombreuses choses peuvent affecter les organismes du sol, mais nous devons identifier les menaces actuelles qui peuvent être mesurées et qui sont réellement connues pour être dangereuses pour la vie dans le sol. Au fil des années, les scientifiques se sont évertués à découvrir ce qui menace la vie dans le sol. Par conséquent, en tant que super-héroïne ou super-héro, votre première étape devrait être de lire toute la littérature disponible sur ce sujet. Même si nous ne sommes pas des super-héroïnes et super-héros, c'est ce que nous avons fait dans notre étude de cartographie des sols à risque dans l'Union européenne [2]. Nous avons identifié 13 menaces potentielles pour les organismes du sol, allant de la pollution et de l'utilisation d'organismes génétiquement modifiés (OGM) à l'aridité croissante (sécheresse) et à la perte de sol due à des événements météorologiques extrêmes (Figure 1).
Une fois que nous disposons d'une liste des menaces pesant sur les organismes du sol que nous voulons cartographier, notre deuxième obstacle devient clair : la biodiversité du sol est immense. Sommes-nous sûrs que, par exemple, l'augmentation de l'aridité a le même effet négatif sur tous les organismes du sol ? L'augmentation de l'aridité sera probablement un gros problème pour les vers de terre (qui aiment des sols humides et mouillés), mais peut-être moins pour les micro-organismes qui peuvent mieux tolérer des conditions rudes. En outre, toutes les espèces de vers de terre ou de bactéries ne sont pas affectées de la même manière par la même menace. Dans une situation idéale, nous essaierions de créer une carte des risques pour chaque espèce d'organisme du sol, mais cela conduirait à des millions de cartes, ce qui serait impossible à gérer, même pour des super-héroïnes ou super-héros. Nous avons besoin d'un compromis. Dans un premier temps, nous avons décidé de créer des cartes pour deux groupes principaux : les micro-organismes du sol (y compris les bactéries et les champignons) et la pédofaune (y compris les vers de terre, les insectes, les collemboles et les acariens [1]).
Maintenant, nous avons une liste de menaces à cartographier et de groupes cibles à considérer. Un troisième obstacle apparaît. Dans quelle mesure chaque menace affecte-t-elle les différents groupes d'organismes ? L'aridité peut provoquer la mort des vers de terre, ce qui représente donc un risque élevé pour eux. En revanche, certaines bactéries peuvent se remettre rapidement d'une période de sécheresse, l'aridité représente donc un faible niveau de risque pour elles. Pour évaluer ces différences, nous avons fait appel aux connaissances des pédologues qui travaillent depuis longtemps sur les risques pour les organismes du sol. Nous savions que ces experts pouvaient nous aider en nous fournissant des informations précises sur les niveaux de risque que nos menaces représentent pour les différentes espèces. Nous avons contacté plus de 100 chercheurs et leur avons demandé de classer nos 13 menaces pour la biodiversité des sols en fonction du niveau de risque (faible, modéré, élevé) pour les micro-organismes et la pédofaune qu'ils étudient. Ces informations nous ont permis de déterminer le niveau de risque le plus précis associé à chacune des menaces et à chacun des groupes d'organismes proposés.
LES RISQUES POUR LA BIODIVERSITÉ DU SOL DANS L’UNION EUROPÉENNE
Vous faites désormais partie d'une équipe de super-héroïnes et de super-héros; vous avez tout ce qu'il vous faut pour accomplir votre mission. Vous avez mis en commun toutes les informations pour identifier vos ennemis les plus dangereux, combiné les avis des experts sur les groupes d'organismes du sol et classé les menaces qui pèsent sur les micro-organismes et la pédofaune (Figure 1). Lorsque nous avons fait tout cela, nos conclusions ont suggéré que, pour les micro-organismes et les animaux du sol, la menace la plus dangereuse est l'utilisation intensive du sol par l'humain, ce qui signifie principalement l'agriculture par le biais d'apports physiques (forte densité de bétail, machines lourdes) et chimiques (pesticides et engrais) intenses [3]. Cela n'a rien d'étonnant, car aucun organisme du sol ne peut se porter bien lorsque d'étranges machines viennent régulièrement briser ou détruire son foyer. À l'autre bout du classement, l'utilisation d'OGM dans l'agriculture est considérée comme la moins risquée. Les OGM sont des plantes utilisées en agriculture te dont l’ADN a été modifié par des femmes et des hommes pour qu’elles croissent mieux et produisent plus de nourriture [4]. L’utilisation de plantes OGM en agriculture est controversé. Tandis que l’utilisation d’OGM n’est pas complètement sans risque, nos résultats suggèrent que d’autres menaces sont plus dangereuses pour la biodiversité du sol.
Les scientifiques sont souvent en désaccord et, dans notre cas, le niveau de désaccord était tellement élevé que c’était impossible de classer le niveau de risque de certaines menaces (Figure 1). Par exemple, les experts en biodiversité n’arrivaient pas à être d’accord sur l’effet de la pollution sur la pédofaune et l’effet des changements climatiques sur les micro-organismes du sol. Ces « menaces controversées » étaient attendues. Un produit secondaire intéressant de notre analyse a été l'identification des menaces sur lesquelles nous n'avons pas encore suffisamment de connaissances pour dire à quel point elles sont risquées. Ces menaces nécessitent de faire des recherches plus approfondies à l'avenir. Il y a donc beaucoup de travail à faire pour occuper les pédologues !
TROUVER LES ENNEMIS
La prochaine étape de votre mission : trouver où sont les ennemis en combinant les classements des menaces avec des données géographiques. Par exemple, pour la menace « utilisation d’OGM en agriculture », nous avons combiné une carte des pays européens dans lesquels la culture d’OGM est permise (Espagne, Portugal, Roumanie, République tchèque et Slovaquie) avec une carte des zones agricoles dans ces pays. Cela nous a permis d'identifier les sols où des OGM pourraient être cultivés. Pour la menace "utilisation intensive par l’humain", nous avons réalisé une carte montrant l'application d'engrais (plus il y a d'engrais utilisés, plus l'usage humain est intense) et le nombre de bovins (plus il y a de bovins, plus l'impact sur le sol est important).
Une fois toutes nos données géographiques collectées, grâce à des superordinateurs, nous avons rassemblé toutes les données pour produire des cartes montrant le risque pour la biodiversité du sol dans l'Union européenne (Figure 2). En examinant de plus près la répartition des risques dans chacun des 27 pays européens, nous avons constaté une situation alarmante. Dans plus de la moitié des pays étudiés (14 sur 27), 40 % des sols présentaient des niveaux de risque élevés pour les micro-organismes et animaux du sol. Seuls cinq pays ont montré que plus de 40 % de leurs sols présentaient des risques faibles pour la vie du sol.
Les cartes que nous avons produites nous ont non seulement permis d'identifier les zones présentant des niveaux de risque élevés dans chaque pays, mais elles nous ont également fourni des informations sur les activités affectant les sols dans ces régions. Toutes ces données sont fondamentales pour assurer une protection adéquate de la biodiversité des sols.
QUELLE EST LA SUITE ?
Nous avons cartographié les risques pour la biodiversité du sol et découvert les zones où une aide est nécessaire pour préserver les organismes du sol. Cela signifie-t-il que nous pouvons dire : "Mission accomplie ! La vie souterraine est sauve !"? Pas vraiment. Mais voici la meilleure partie : nous devons maintenant identifier les actions concrètes qui réduiront les risques pour les organismes du sol dans les zones à haut risque. Par exemple, il est possible de créer des zones protégées (comme des parcs nationaux) pour éviter, ou du moins réduire, l'interférence humaine. Cependant, dans de nombreux cas, cela n’est peut-être pas suffisant. Par exemple, les phénomènes météorologiques extrêmes ne connaissent pas de frontières ; ils se produisent également dans les parcs nationaux. Pour réduire l'impact des phénomènes météorologiques extrêmes sur les organismes du sol, nous avons besoin de mesures plus larges qui contribueront à ralentir ou à inverser les changements climatiques. Mais c'est une autre histoire - une véritable mission pour les super-héroïnes et super-héros !
GLOSSAIRE
Biodiversité du sol
Toutes les créatures habitant dans le sol.
Micro-organismes du sol
Organismes vivant dans le sol qui peuvent seulement être observés à l’aide d’un microscope. Les micro-organismes du sol comprennent les archées, les bactéries, les champignons et les protistes.
Pédofaune
Organismes vivant dans le sol qui appartiennent au royaume des animaux. Cela va des petits vers appelés nématodes (<0,1mm) aux grands animaux comme les taupes.
Organisme génétiquement modifié (OGM)
Un organisme qui a eu son ADN modifié afin de lui conférer de nouvelles capacités, comme la résistance aux nuisibles ou la capacité de croître avec la présence de produits chimiques désherbants.
Aridité
Une condition caractérisée par une disponibilité en eau limitée voire inexistante dans un environnement, principalement du à des précipitations éparses.
REMERCIEMENT
Un grand merci à Gráinne Mulhern pour avoir précautionneusement relu le manuscrit.
ARTICLE ORIGINAL
Orgiazzi, A., Panagos, P., Yigini, Y., Dunbar, M. B., Gardi, C., Montanarella, L., et al. 2016. Knowledge-Based approach to estimating the magnitude and spatial patterns of potential threats to soil biodiversity. Sci. Total Environ. 545-546:11–20. doi: 10.1016/j.scitotenv.2015.12.092
RÉFÉRENCES
[1] Orgiazzi, A. et al., 2016, Global Soil Biodiversity Atlas (European Commission).
[2] Orgiazzi, A. et al., 2016, Knowledge-based approach to estimating the magnitude and spatial patterns of potential threats to soil biodiversity. Sci. Total Environ., 545–546, pp. 11-20.
[3] Tsiafouli, M. A. et al., 2015, Intensive agriculture reduces soil biodiversity across Europe. Glob. Change Biol. 21, 973–985.
[4] Carpenter J. 2011. Impact of GM crops in biodiversity. GM Crops 2: 7–23.
EDITED BY: Helen Phillips, Saint Mary’s University, Canada
SCIENCE MENTOR: Christopher A. Emerling
CITATION: Orgiazzi A (2022) Protecting Soil Biodiversity: A Dirty Job, but Somebody’s Gotta Do It! Front. Young Minds 10:677917. doi: 10.3389/frym.2022.677917
CONFLITS D’INTÉRÊT: Les auteurs déclarent que ce document a été rédigé en l'absence de toute relation commerciale, personnelle ou financière qui pourrait être interprétée comme un conflit d'intérêts potentiel.
COPYRIGHT © 2022 Orgiazzi. This is an open-access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (CC BY). The use, distribution or reproduction in other forums is permitted, provided the original author(s) and the copyright owner(s) are credited and that the original publication in this journal is cited, in accordance with accepted academic practice. No use, distribution or reproduction is permitted which does not comply with these terms.
JEUNES RELECTEURS
KAYSVILLE JUNIOR HIGH, AGES: 12–13
The students that reviewed this article were selected from Mr. Lanford’s Science 7 classes at Kaysville Jr High. Students that live in the area come from strong communities that also know how to appreciate and enjoy nature in the Western US. A lot of the families make a habit to go hiking, fishing, camping, rock hounding, river rafting, biking, and too many other hobbies to mention.
BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR
ALBERTO ORGIAZZI
Quand il était enfant, Alberto voulait devenir pilote d’hélicoptère. Mais la vie est pleine de surprises, et il a préféré suivre la voie de l’autruche, en mettant sa tête dans le sol. Passant du ciel au sol, il est actuellement un pédologue dans le centre commun de recherche de la commission européenne. Sa mission actuelle est axée sur la création de cartes détaillées de la vie dans les sols européens. *alberto.orgiazzi@gmail.com
TRADUCTEUR
FLAVIEN COLLART
Department of Ecology and Evolution, University of Lausanne, 1015 Lausanne, Switzerland