German Centre for Integrative Biodiversity Research (iDiv)
Halle-Jena-Leipzig
 
16.06.2021 | Français

Les bactéries des zones sèches peuvent-elles nous aider à réduire les gaz à effet de serre? Bactéries mangeuses de méthane dans les zones arides

Figure 1: Méthodes que nous suivons pour trouver et étudier les méthanotrophes du sol. Nous avons sélectionné des zones sèches dans le monde entier et prélevé des échantillons de sol (1). Nous avons analysé les propriétés de ces sols, comme la teneur en matière organique et le pH (2). Nous avons extrait l'information génétique (ADN) des bactéries présentes dans le sol (3). En étudiant l'ADN, nous avons obtenu des informations sur l'abondance, la richesse et la structure de la communauté des méthanotrophes de chaque échantillon de sol (4 et 5). Puis, nous avons utilisé des mathématiques pour déterminer quelles sont les conditions pédologiques ou climatiques les plus pertinentes pour les méthanotrophes (6).

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Angela Lafuente1,2*, Concha Cano-Díaz1

1 Departamento de Biología y Geología, Física y Química Inorgánica, Escuela Superior de Ciencias Experimentales y Tecnología, Universidad Rey Juan Carlos, Móstoles, Spain
2 College of Forest Resources and Environmental Science, Michigan Technological University, Houghton, MI, United States, Singapore

Qu'est-ce qu'une terre aride? La première chose qui peut vous venir à l'esprit est un endroit désertique où rien ne peut vivre ou pousser. Malgré la pénurie d'eau, ces écosystèmes ont une grande diversité et vont s’étendre en raison du changement climatique. La principale cause du réchauffement de la planète est l'augmentation des gaz à effet de serre dans notre atmosphère. Pour résoudre ce problème, nous devons évidemment réduire les émissions liées à l'activité humaine, mais l'étude des micro-organismes dans la nature nous donne également des indices passionnants sur la manière de résoudre ce problème.

Les micro-organismes vivent dans tous les environnements de la planète existants et, heureusement, certains d'entre eux peuvent même se nourrir des gaz à effet de serre présents dans l'air! Ici, nous avons étudié les sols de la planète à la recherche de bactéries capables de consommer l'un des plus puissants gaz à effet de serre, le méthane (CH4), et nous avons découvert que ces bactéries sont présentes dans les zones arides du monde entier !

LE PLUS GRAND ÉCOSYSTÈME TERRESTRE DE LA PLANÈTE: LES ZONES SÈCHES

Les zones sèches se caractérisent par la rareté des précipitations et, par conséquent, par l'absence de végétation luxuriante. Cependant, les zones sèches couvrent toute une série d'écosystèmes différents, de l'endroit le plus sec de la planète, le désert chaud d'Atacama au Chili, aux forêts d'eucalyptus feuillues d'Australie où vivent les koalas (Figure 1.1). Les écosystèmes des zones sèches contiennent également un nombre considérable d'organismes, dont beaucoup sont des plantes et des animaux qui ne vivent que dans les zones sèches et se sont adaptés aux conditions difficiles. Les zones sèches constituent le plus grand écosystème terrestre, occupant près de la moitié de la surface terrestre (45 %) et abritant plus de 40 % de la population humaine. Vous comprenez donc pourquoi les zones sèches sont des régions extrêmement importantes à étudier.

Les êtres vivants et les substances non vivantes de l'environnement, comme les plantes et l'eau, sont intimement liés par les cycles de la nature. Ces substances non vivantes sont appelées facteurs abiotiques. L'eau est cruciale pour tous les processus liés à la vie, de la croissance des plantes au développement des communautés de micro-organismes du sol. Par conséquent, l'eau est le facteur abiotique le plus important dans un écosystème. Nous mesurons la disponibilité de l'eau dans un écosystème à l'aide d'une mesure appelée aridité, une relation mathématique entre la quantité de précipitations (pluie, brouillard ou neige) et l'évaporation de l'eau. Moins il y a d'eau disponible, plus un endroit est aride (Figure 1.1).

Dans les zones sèches, où l'eau n'est pas toujours disponible, les cycles naturels entre les êtres vivants et les substances non vivantes sont gravement affectés. Lorsqu'il n'y a pas d'eau de pluie et que l'humidité diminue, cela affecte les cycles du carbone (C) et de l'azote (N), réduisant l'abondance de ces éléments dans le sol, ce qui a un impact sur les plantes, les animaux et les micro-organismes. Tout cela rend les zones sèches extrêmement vulnérables aux changements climatiques en cours.

BACTÉRIES DU SOL ET MÉTHANE

La Terre est entourée d'une couche gazeuse appelée atmosphère, qui nous protège du rayonnement solaire et contribue à maintenir la température globale de la Terre. Les principaux composants de l'atmosphère sont l'azote (78 %) et l'oxygène (21 %), mais l'atmosphère contient également de nombreux autres gaz. Certains gaz atmosphériques, comme le dioxyde de carbone (CO2) et la vapeur d'eau, sont des gaz à effet de serre, appelés ainsi parce qu'ils retiennent la chaleur du soleil, comme le verre d'une serre. Les gaz à effet de serre laissent la lumière du soleil atteindre la surface de la Terre mais empêchent la chaleur de quitter l'atmosphère. Ce piégeage de la chaleur contribue au réchauffement de la planète.

Le gaz à effet de serre le plus abondant dans l'atmosphère est produit par l'homme, c’est le CO2, libéré lors de la combustion d’énergies fossiles. Cependant, le deuxième gaz le plus important contribuant au réchauffement de la planète est le méthane (CH4). Le méthane est une molécule simple formée par un atome de carbone (C) et quatre atomes d'hydrogène (H). L'effet de réchauffement d'une molécule de méthane est équivalent à 25 molécules de CO2, ce qui en fait un gaz à effet de serre surpuissant. Le méthane est produit par les méthanogènes, un groupe de micro-organismes qui n'ont pas besoin d'oxygène pour survivre et peuvent donc vivre dans des environnements dépourvus d'oxygène comme les rizières, les sédiments lacustres et les zones humides. Les méthanogènes vivent également dans le tube digestif des animaux, tels que l'estomac des bovins et même des humains ! Les méthanogènes sont responsables des rots et des pets des animaux ! Les méthanogènes produisent également du méthane lors de la décomposition de la matière organique comme les feuilles ou les fragments de bois. En plus de l'agriculture, d'autres activités humaines comme les industries pétrolières et gazières libèrent également de grandes quantités de méthane dans notre atmosphere [1]. (Figure 2).

Le méthane libéré dans l'atmosphère contribue grandement au changement climatique et un seul groupe d'organismes peut le consommer, les méthanotrophes. Ce groupe de micro-organismes est capable d'utiliser le méthane comme source de carbone et d'énergie. On peut dire qu’ils mangent le méthane (Figure 2) ! Dans les zones sèches, la production de méthane est faible en raison de la rareté de l'eau (rappelons que les méthanogènes vivent généralement dans des sols inondés et autres environnements sans oxygène). Cependant, en raison de la grande étendue des zones sèches et de l'augmentation globale du méthane dans l'atmosphère, les écosystèmes des zones sèches pourraient être d'un grand intérêt si les méthanotrophes y sont également présents et abondants.

COMMENT TROUVER ET ÉTUDIER LES MÉTHANOTROPHES

Dans le cadre de nos recherches, nous avons voulu savoir si les méthanotrophes sont communs dans les sols des zones sèches du monde entier, et s'ils sont sensibles aux conditions climatiques et aux propriétés du sol, comme la plupart des microorganismes du sol. Tout d'abord, nous avons sélectionné 80 sites de zones sèches dans le monde entier (Figure 1.1). A chaque site, nous avons recueilli des informations sur le climat, telles que la température annuelle moyenne, les précipitations annuelles et l'aridité. Nous avons également prélevé des échantillons de sol et analysé les propriétés telles que la quantité de matière organique (carbone organique), le pH et la teneur en sable (Figure 1.2). Un taux élevé de matière organique indique que le sol est fertile, c'est-à-dire qu'il contient les nutriments dont les plantes, les animaux du sol et les micro-organismes ont besoin pour se développer. Le pH est l'un des facteurs les plus importants de régulation de la croissance des bactéries du sol. Par exemple, lorsque les sols sont très acides, comme le vinaigre, seules certaines bactéries tolérantes à l'acide peuvent y vivre. Les grains du sol sont très proches les uns des autres mais laissent tout de même des espaces pour l'air et l'eau. La quantité de sable, la plus grande particule du sol, nous indique la taille de ces espaces. Ainsi, une forte teneur en sable signifie qu'il y a de grands espaces, de sorte que l'air peut entrer facilement dans le sol, mais que l'eau et les nutriments peuvent aussi s'écouler facilement.

Pour étudier les méthanotrophes dans nos échantillons de sol, nous avons besoin de l'information génétique (ADN) de ces bactéries [2]. Tout d'abord, nous obtenons tout l'ADN présent dans nos échantillons de sol, grâce à un processus appelé extraction de l'ADN (Figure 1.3). Ce processus est réalisé en laboratoire à l'aide d’enzymes puissantes qui ouvrent les cellules sans endommager l'information génétique. Nous analysons ensuite l'ADN extrait à la recherche d'une région spécifique qui n'est présente que chez les méthanotrophes. Cette portion d'ADN est un gène appelé pmoA. Le gène pmoA contient les instructions pour la protéine qui permet aux méthanotrophes de manger le méthane atmosphérique. Connaître la concentration du gène pmoA dans chaque échantillon de sol nous permet de savoir combien de méthanotrophes vivaient dans cet échantillon (Figure 1.4). Il existe plusieurs espèces de méthanotrophes étroitement apparentées qui possèdent toutes des informations similaires sur leur ADN, mais les différentes espèces présentent de minuscules différences génétiques dans leur ADN. Nous pouvons donc utiliser l'ADN pour identifier différents méthanotrophes, comme une empreinte digitale (Figure 1.5).

Nos études sur l'ADN nous permettent d'obtenir des informations sur l'abondance (nombre total de bactéries d'un certain type présentes), la richesse (le nombre de différentes sortes de bactéries présentes), et la structure de la communauté (les différents types de bactéries et l'abondance de chaque type) des méthanotrophes de chaque échantillon de sol (Figure 3). Ensuite, nous utilisons des mathématiques pour déterminer les conditions pédologiques ou climatiques les plus importantes pour les méthanotrophes.

OÙ VIVENT LES MÉTHANOTROPHES

Nous n'étions pas sûrs de trouver des méthanotrophes dans les zones sèches car ces microorganismes ont besoin de méthane pour vivre et que les zones sèches ne sont pas l'écosystème typique pour la production de méthane. Ainsi, trouver des méthanotrophes dans tous nos échantillons de sol des zones sèches a été une découverte extraordinaire ! Nous pouvons désormais affirmer que les méthanotrophes sont largement répandus dans les zones arides du monde entier. De façon surprenante, nous avons même trouvé des méthanotrophes qui vivent habituellement dans les endroits humides, comme le Danemark, l'Écosse ou la Nouvelle-Zélande.

Nous avons également constaté que, dans les zones arides, la température annuelle moyenne et l'aridité ne sont pas les principales conditions influençant l'abondance et la richesse des méthanotrophes. L'abondance et la richesse peuvent être déterminées par d'autres facteurs, tels que les précipitations. Cependant, les conditions climatiques comme la température annuelle moyenne, les précipitations, l'aridité, et les propriétés du sol telles que la matière organique, le pH et la teneur en sable ont affecté la structure de la communauté des méthanotrophes. Par exemple, des températures plus élevées ont augmenté l'abondance de certains méthanotrophes résistants à la chaleur. En d'autres termes, dans les zones sèches où les températures sont plus élevées, les communautés de méthanotrophes peuvent contenir plus de méthanotrophes résistants à la chaleur. Les conditions climatiques peuvent également affecter les propriétés du sol, par exemple en favorisant la décomposition des roches, ce qui augmente la teneur en sable, ou en modifiant le pH et la matière organique du sol. Ces propriétés du sol affectent la quantité d'air qui peut pénétrer dans le sol, ce qui s'est avéré très important pour la structure des communautés de méthanotrophes.  

QU'AVONS-NOUS APPRIS DES MÉTHANOTROPHES DES ZONES SÈCHES ?

Comme nous l'avons constaté, les méthanotrophes sont abondants et largement répartis dans les zones arides du monde entier. Le climat et le sol ont tous deux une incidence sur les communautés de méthanotrophes. De plus, nous avons constaté que la structure de la communauté des bactéries mangeuses de méthane dépendait fortement des conditions climatiques, telles que la quantité de précipitations et la température, et les caractéristiques du sol telles que la teneur en matière organique du sol. Comme nous avons constaté que le climat influence les méthanotrophes, nous nous attendons à ce que le changement climatique en cours modifie les communautés de méthanotrophes dans les années à venir, affectant ainsi la consommation de méthane atmosphérique. Jusqu'à présent, nous savions que les méthanotrophes vivaient dans des endroits froids et humides, qui seront sûrement affectés par le changement climatique. La vaste superficie de terres que couvrent les zones sèches et les nombreux méthanotrophes qu'elles contiennent pourraient rendre ces zones extrêmement importantes pour la consommation de méthane atmosphérique à l'avenir. En d'autres termes, les bactéries des zones sèches peuvent nous aider à réduire les gaz à effet de serre ! Prendre soin des zones sèches dès maintenant et continuer à étudier les merveilles cachées qu'elles contiennent est important pour faire face à notre future planète plus chaude. Les bactéries mangeuses de méthane des zones sèches peuvent nous aider !

GLOSSAIRE

Abiotique
Non vivant. Les facteurs abiotiques d'un environnement comprennent la température, l'eau et la lumière.

Aridité
Relation mathématique entre la quantité de précipitations (pluie, brouillard, ou neige) et l'évaporation de l'eau. Elle décrit le degré de carence en eau d'un écosystème.

Abondance
Le nombre d'individus d'un certain type présents dans un environnement.

Méthanogènes
Groupe de micro-organismes qui n'ont pas besoin d'oxygène pour survivre et qui peuvent donc vivre dans des environnements sans oxygène. Ils produisent du méthane en décomposant des matières organiques telles que des feuilles ou des fragments de bois.

Méthanotrophes
Groupe de micro-organismes capables d'utiliser le méthane comme source de carbone et d'énergie. Ce sont des mangeurs de méthane.

Extraction d'ADN
Procédure de laboratoire dans laquelle les cellules sont ouvertes pour libérer le matériel génétique (ADN) qu'elles contiennent, sans endommager l'ADN.

Richesse
Le nombre d'espèces (différents types) d'organismes présents dans un environnement.

Structure de la communauté
La combinaison de la richesse et de l'abondance dans la communauté.

 

ARTICLE ORIGINAL

Lafuente, A., Bowker, M. A., Delgado-Baquerizo, M., Durán, J., Singh, B. K., and Maestre, F. T. 2019. Global drivers of methane oxidation and denitrifying gene distribution in drylands. Glob. Ecol. Biogeogr. 28:1230–43. doi: 10.1111/geb.12928

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

[1] Cadena, S., Cervantes, F., Falcón, L., and García-Maldonado, J. 2019. The role of microorganisms in the methane cycle. Front. Young Minds 7:133. doi: 10.3389/frym.2019.00133

[2] Schallenberg, L., Wood, S., Pochon, X., and Pearman, J. 2020. What can DNA in the environment tell us about an ecosystem? Front. Young Minds 8:150. doi: 10.3389/frym.2019.00150

 

EDITED BY: Rémy Beugnon, German Centre for Integrative Biodiversity Research (iDiv), Germany

CITATION: Lafuente A and Cano-Díaz C (2021) Can Methane-Eating Bacteria in Drylands Help Us Reduce Greenhouse Gases?. Front. Young Minds. 9:556361. doi: 10.3389/frym.2021.556361

CONFLICT OF INTEREST: The authors declare that the research was conducted in the absence of any commercial or financial relationships that could be construedas a potential conflict of interest.

COPYRIGHT © 2021 Lafuente and Cano-Díaz. This is an open-access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (CC BY). The use, distribution or reproduction in other forums is permitted, provided the original author(s) and the copyright owner(s) are credited and that the original publication in this journal is cited, in accordance with accepted academic practice. No use, distribution or reproduction is permitted which does not comply with these terms.

 

JEUNES RELECTEURS

SEBASTIAN, ÂGE: 10
I like sports, reading, math, and animals.

AUTEURS

ANGELA LAFUENTE
I am currently a post-doc at Michigan Technological University, working on carbon cycling in tropical peatlands. I am an ecologist interested in understanding how global change affects soil microorganisms and greenhouse gas fluxes. In my free time, I enjoy the nature going on a hike, cycling, or skiing. *ellyon.diebrunnen@gmail.com

CONCHA CANO-DÍAZ
I am a biologist finishing my Ph.D. at Universidad Rey Juan Carlos (Spain). My research is focused on the distribution and ecological preferences of soil cyanobacteria. I am currently studying the effects of climate change and soil formation processes on cyanobacterial communities around the world. I love to make scientific illustrations and in my free time I enjoy playing music with the ukulele and singing in the choir.

TRADUCTRICE

LUCIE MALARD
Department of Ecology and Evolution, University of Lausanne, 1015 Lausanne, Switzerland

 

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