Les collemboles – d’incroyables sauteurs
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Anton M. Potapov 1,2*
1 Animal Ecology, J.F. Blumenbach Institute of Zoology and Anthropology, University of Göttingen, Göttingen, Germany
2 Soil Zoology and General Entomology, A.N. Severtsov Institute of Ecology and Evolution, Russian Academy of Sciences, Moscow, Russia
Les collemboles sont de minuscules animaux à six pattes que tu rencontres tous les jours, mais qui se remarquent difficilement. Ils peuvent survivre dans les grandes villes, sur la glace de l’Antarctique, dans les grottes les plus profondes et dans la canopée des forêts tropicales. Certains scientifiques les appellent les plus anciens et les plus nombreux insectes sur Terre. Les collemboles excellent au saut en hauteur – s’ils faisaient la taille d’un être humain, ils pourraient facilement sauter au-dessus d’un immeuble de dix étages ! Cette faculté leur permet d’échapper au danger. Chaque jour, les collemboles sont très occupés, améliorant la santé des sols et favorisant de nombreuses espèces d’araignées, de scarabées, de fourmis et d’autres petits prédateurs sur notre planète. Ils sont un pilier important de la biodiversité des sols, mais nous avons encore beaucoup à apprendre sur eux, et un grand nombre d’espèces de ces magnifiques animaux restent encore à découvrir.
L’EXCEPTIONNELLE DIVERSITÉ DES COLLEMBOLES
Si tu sors de chez toi, tu vas sans doute croiser un collembole, mais tu ne le remarqueras probablement pas car la plupart de ces animaux mesurent seulement un millimètre de long. Les collemboles sont de proches cousins des insectes et l’on peut en retrouver dans tous les sols de la planète. Pour les collemboles le meilleur endroit pour vivre est un sol de forêt, où tu peux trouver plusieurs milliers d’entre eux dans une simple poignée de feuilles mortes. Mais ils peuvent aussi vivre dans d’autres environnements, souvent des lieux humides dans lesquels poussent des champignons (Figure 1). En réalité, les collemboles vivent quasiment partout : ils sont nombreux en Antarctique sur la neige et les rochers, ils sont très divers dans la canopée des forêts tropicales, on les retrouve perchés sur les plus hautes montagnes et enfouis dans les grottes les plus profondes. Il y a quelques années, des scientifiques ont découvert le collembole Plutomurus, qui vit deux kilomètres sous la surface du sol dans une grotte des montagnes du Caucase [1]. Ils l’ont appâté à l’aide d’un morceau de fromage qui sentait plutôt fort. En hiver, certains collemboles sautent et se promènent à la surface de la neige, ce qui leur vaut le surnom de «puces de neige». Les puces de neige comme Hypogastrura (Figure 1F) peuvent se regrouper par millions d’individus, formant ainsi de grandes tâches grises sur la neige ! En maîtres de la survie, les collemboles vivent aussi avec nous – dans nos jardins, nos cours, dans les parcs et parfois dans les pots de fleurs.
Les collemboles vivaient et prospéraient sur la planète bien avant les dinosaures, et ils sont parmi les premiers animaux à avoir marché sur la terre ferme. Nous le savons grâce à la découverte d’un collembole fossilisé dans une roche préhistorique vieille d’environ 410 millions d’années. Ce collembole a été nommé Rhyniella praecursor, «le plus ancien insecte connu». Curieusement, certains collemboles actuels ressemblent très fortement à Rhyniella, ce qui signifie que les collemboles ont survécu à quatre des cinq extinctions de masse survenues sur Terre et cela sans vraiment changer d’apparence. On dénombre environ 9000 espèces de collemboles à l’heure actuelle, toutes listées dans un catalogue web1, mais les scientifiques pensent qu’il y a au moins quatre fois plus d’espèces au total vivant sur notre planète [2]. Certaines zones reculées de Tasmanie et de Nouvelle-Zélande sont peuplées par d’inhabituelles et magnifiques espèces (Figure 2) et beaucoup d’autres restent encore à découvrir.
L’allure du corps des collemboles peut varier d’une espèce à l’autre. Certaines espèces sont de forme ronde, d’autres sont plutôt allongées. Certaines sont incolores, d’autres sont bleues, ou noires, ou présentent encore des motifs à rayures ou à pois, comme l’espèce de forme arrondie Katianna (Figure 2A). Lepidocyrtus (Figure 2B) possède des écailles brillantes, comme les poissons. La plupart des collemboles mesurent 1 mm de long, mais il existe des espèces encore plus minuscules et d’autres «géantes». Par exemple, Neelides (Figure 2D) mesure seulement un demi-millimètre de long, tandis que Womersleymeria (Figure 2C) peut dépasser un centimètre ! La plupart de ces géants vivent sur le bois mort qu’on retrouve dans les forêts tropicales sauvages et sont appelés «collemboles-dragons».
L’ANATOMIE REMARQUABLE DES COLLEMBOLES
Le nom «collembole» provient de deux mots en grec ancien : kolla qui signifie colle, et embolon qui signifie tube. Cela fait référence à un organe appelé tube ventral (ou collophore), que l’animal peut déployer sur le sol et qui possède une texture légèrement collante. Cela aide l’animal à s’agripper pour tenir en équilibre lorsqu’il grimpe sur une surface ou pour se réceptionner après un saut. En effet, les collemboles sont de remarquables sauteurs, notamment pour échapper au danger, comme de petites sauterelles. Ils possèdent pour cela un organe spécialisé en forme de fourche, appelé furca (Figure 3). La furca se trouve sous le corps, contre l’abdomen, mais tous les collemboles n’en possèdent pas. Lorsque l’animal marche ou se nourrit, la furca est en forte tension, repliée sous son corps, comme un ressort qu’on aurait comprimé. Lorsque le collembole veut sauter, la furca est déployée brusquement et l’animal se catapulte lui-même loin des prédateurs, ou des scientifiques trop curieux. Pendant le saut, l’animal effectue plusieurs saltos, comme s’il s’agissait d’une figure acrobatique, avant d’atterrir un peu plus loin2. Les collemboles sont des champions en saut en hauteur – s’ils faisaient la taille d’un être humain, ils pourraient sauter au-dessus d’un immeuble de dix étages ! Cette faculté étonnante leur a donné leur nom anglais springtails qui signifie «queue-sauteuse».
Comme les insectes, les collemboles sont des hexapodes, ce qui signifie qu’ils marchent sur six pattes. À l’inverse des insectes, ils ne portent jamais d’ailes. Les collemboles peuvent avoir de deux à seize yeux (Figure 1D), mais les espèces qui vivent dans le sol sont souvent aveugles. Pour s’orienter dans leur environnement et communiquer avec les autres, un certain nombre de collemboles utilisent des antennes, qui sont de longs organes placés sur leur tête. Ils agitent les antennes afin de toucher la surface du sol et de vérifier leur chemin devant eux. S’ils trouvent de la nourriture, ils la saisissent et la mâchent avec leurs mandibules.
COMMENT ATTRAPE-T-ON UN COLLEMBOLE ?
Si tu es suffisamment intéressé(e) pour observer un vrai collembole, tu dois savoir où chercher et comment t’y prendre. Les collemboles apprécient les lieux humides, comme de la mousse ou un lit de feuilles mortes. Certaines espèces de grande taille peuvent se cacher sous l’écorce de bois mort en décomposition. D’autres peuvent se trouver sur la rive d’un cours d’eau, sur des rochers, des mousses ou même sur des fleurs. Si tu as de la chance, tu peux aussi trouver des collemboles dans des pots de fleurs – tu observerais alors probablement l’espèce Folsomia candida, à l’allure blanchâtre, qui est l’un des animaux du sol les plus utilisés en expériences de laboratoire. Lorsque l’on part à la recherche de collemboles, il faut faire preuve de patience. Ils se trouvent partout, mais ils savent très bien se cacher et arborent souvent des couleurs qui se confondent avec leur environnement (Figure 1E).
Si tu trouves un collembole, tu peux simplement l’observer ramper ou sauter. Les plateformes web comme iNaturalist3 ou Flickr4 hébergent des milliers de photos de collemboles du monde entier. De telles observations peuvent aider les scientifiques à comprendre où les différentes espèces habitent, et permettent même parfois de découvrir de nouvelles espèces.
Pour attraper un collembole, tu peux aussi utiliser un aspirateur à insectes. Mais si tu souhaites garder l’animal, souviens-toi que les collemboles n’aiment pas les conditions trop sèches. Après plusieurs minutes dans un aspirateur, certaines espèces peuvent mourir. Les scientifiques collectent souvent les collemboles retrouvés dans les lits de feuilles mortes, dans le sol, le bois mort ou les mousses, à l’aide d’un entonnoir Tullgren, qui peut être fabriqué assez facilement à la maison. Les collemboles peuvent ensuite être observés avec précision sous un microscope. Certains scientifiques élèvent aussi des collemboles comme animaux de laboratoires, ils ont alors besoin d’une surface qui conserve l’humidité (par exemple, un pot avec des feuilles mortes, du sol ou de l’argile), de nourriture (la levure de boulanger est un très bon choix), et d’air (penser à percer le couvercle de quelques trous). Malheureusement, seulement quelques dizaines d’espèces survivent en élevage à la maison ou au laboratoire… Et l’on ne sait toujours pas vraiment pourquoi.
LES COLLEMBOLES TRAVAILLENT DUR POUR DOMINER LE MONDE
Mais que fabriquent donc tous ces collemboles dans la nature, et pourquoi devons-nous nous intéresser à eux ? Les collemboles jouent un rôle important dans les écosystèmes : en tant que «nettoyeurs», ils recyclent les matériaux en décomposition appelés litière, et se nourrissent de micro-organismes comme les bactéries et les champignons [3]. En faisant cela, ils améliorent la structure du sol et rendent les nutriments disponibles pour les plantes. Les collemboles peuvent aussi polliniser les mousses, tout comme les abeilles pollinisent les fleurs [4]. Être une proie délicieuse pour de nombreux prédateurs est également important : un grand nombre d’espèces d’araignées, de scarabées, de fourmis et d’autres invertébrés survivent en chassant des collemboles. Parfois les collemboles sont même directement utiles aux humains. Dans les champs cultivés, ils peuvent aider les plantes en se nourrissant des microbes qui leurs causent des maladies, ou bien peuvent subvenir aux besoins de prédateurs qui chassent aussi les ravageurs de cultures. Cependant, les scientifiques n’ont que récemment commencé à étudier ces fonctions remplies par les collemboles, et il leur reste encore beaucoup à apprendre.
Dans le monde actuel, un grand nombre d’écosystèmes sont en train de changer. Les villes s’agrandissent, les forêts tropicales sont abattues pour planter des cultures, et le réchauffement climatique fait fondre des régions habituellement gelées comme l’Antarctique ou les toundras arctiques. Ces changements affectent les collemboles ainsi que d’autres organismes vivant dans les sols. Les espèces les plus remarquables sont souvent aussi les plus vulnérables, et peuvent s’éteindre si leurs milieux naturels sont détruits. Le nombre de collemboles sur notre planète devrait décliner à l’avenir, car ils sont plutôt nombreux dans les régions froides et polaires qui risquent justement d’être les plus affectées par les changements climatiques. Un seul hectare de toundra peut être peuplé par autant de collemboles qu’il y a d’êtres humains sur toute la planète. En tant que maîtres de la survie, les collemboles s’adapteront à ces changements planétaires et vivront dans de nouveaux écosystèmes. Cependant, de nombreuses espèces sont susceptibles de s’éteindre avant même d’avoir été découvertes. Étudier les collemboles et partager les connaissances sur ces animaux qui représentent une partie cachée mais très importante de la biodiversité, peut nous aider à comprendre comment la nature s’organise et comment nous la modifions par nos actions. Partager tes nouvelles connaissances avec tes amis et ta famille peut aider à cette tâche : plus les gens seront au courant de l’importance de cette biodiversité cachée, plus nous serons capables de comprendre et de protéger la nature, et plus nous arriverons à imaginer notre avenir en harmonie avec elle.
NOTES DE BAS DE PAGE
2 Admirez ces «collemboles de poubelle» effectuer 22 440 rotations par minute, en ralenti slow-motion sur cette vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=Qu01EUeE5PM
GLOSSAIRE
Canopée
Étage supérieur de la forêt, où les sommets des arbres sont en contact direct avec les rayons du soleil. La canopée abrite de nombreux êtres vivants, notamment dans les forêts tropicales.
Extinction de masse
Épisode de diminution soudaine et généralisée de la biodiversité sur Terre au cours de l’histoire évolutive. Cinq principales extinctions de masse sont reconnues.
Furca
Appendice en forme de fourche rattaché à l’abdomen de nombreuses espèces de collemboles.
Mandibules
Mâchoires inférieures, utilisées pour mordre et mâcher la nourriture. À l’inverse des humains, les arthropodes mâchent horizontalement et non pas verticalement.
Aspirateur à insectes
Aspirateur utilisé pour collecter les petits organismes visibles à l’œil nu. (https://en.wikipedia.org/wiki/Aspirator_(entomology) ; en anglais)
Entonnoir Tullgren
Appareil utilisé pour extraire les organismes vivants, en particulier les arthropodes, du sol, de la litière, des mousses et d’autres substrats. (https://en.wikipedia.org/wiki/Tullgren_funnel ; en anglais)
Litère
Première couche en surface du sol, composée de matière organique plus ou moins en décomposition, comme par exemple des feuilles ou du bois mort, les restes des corps d’animaux morts, et d’excréments. La litière est inséparable des micro-organismes qui la décomposent, tels que des bactéries et des champignons.
REMERCIEMENTS
Je suis reconnaissant envers mon père, Mikhail Potapov, qui me raconte des histoires à propos des collemboles et qui en fait de magnifiques dessins. Je remercie également Andy Murray, Cyrille D’Haese, Marie Huskens, Dunmei Li, Ferenc Erdélyi, et Frans Janssens, qui m’ont aidé à trouver ou qui m’ont fourni des photos pour illustrer cet article.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
[1] Sendra A, Reboleira A. The world’s deepest subterranean community - Krubera-Voronja Cave (Western Caucasus). IJS (2012) 41:221–230. doi:10.5038/1827-806X.41.2.9
[2] Hopkin SP. Biology of springtails: (Insecta: Collembola). Oxford: Oxford Science Publications (1997).
[3] Rusek J. Biodiversity of Collembola and their functional role in the ecosystem. Biodiversity and Conservation (1998) 7:1207–1219. doi:10.1023/A:1008887817883
[4] Cronberg N, Natcheva R, Hedlund K. Microarthropods mediate sperm transfer in mosses. Science (2006) 313:1255–1255. doi:10.1126/science.1128707
EDITED BY: Helen Phillips, German Centre for Integrative Biodiversity Research (iDiv), Germany
CITATION: Potapov A (2020) Springtails—Worldwide Jumpers. Front. Young Minds 8:545370. doi: 10.3389/frym.2020.545370
CONFLICT OF INTEREST: L’auteur déclare que ce travail de recherche a été conduit en l’absence de toute relation commerciale ou financier qui serait susceptible de constituer un potentiel conflit d’intérêts.
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Hello! My name is Anshul and I am a fourth grader in North Wales, Pennsylvania, which is close to Philadelphia. I am very interested in Biology and Entomology. I am an active member of the John Hopkins CTY program, and my favorite hobby is to read.
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AUTEUR
ANTON POTAPOV
I am a soil ecologist working at the University of Göttingen, Germany. I particularly enjoy studying springtails, which I am doing in different environments, from Russian taiga to tropical rainforests. I want to understand how springtails and other small animals form complex food webs and drive biodiversity and functioning of ecosystems. *potapov.msu@gmail.com
TRADUCTEUR
JONATHAN BONFANTI
Je suis écologue du sol et je travaille au CIRAD à Montpellier a,b . Actuellement je m'intéresse aux liens entre les pratiques agricoles et la biodiversité. J'ai découvert le monde fascinant des collemboles pendant mon doctorat, et ces animaux me passionnent toujours depuis ! Je remercie mes relectrices Maëlle et Marie-Laure pour leurs conseils, ainsi que mes jeunes relecteurs Maïlo et Loup pour leurs retours. Je salue également l’initiative de traduction collaborative dans de nombreuses langues portée par Rémy Beugnon, Malte Jochum et Helen Phillips de cette magnifique collection d’articles sur la biodiversité des sols à destination du jeune public.
a CIRAD, UPR HortSys, F-34398 Montpellier, France
b HortSys, Univ Montpellier, CIRAD, Montpellier, France