Peut-on sauver la Bête en préservant la Belle ?
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Felix Gottschall 1,2*, Erin K. Cameron 3, Inês S. Martins 4, Julia Siebert 1,2 and Nico Eisenhauer1,2
1 Experimental Interaction Ecology, German Centre for Integrative Biodiversity Research (iDiv) Halle-Jena-Leipzig, Leipzig, Germany
2 Institute of Biology, Leipzig University, Leipzig, Germany
3 Department of Environmental Science, Saint Mary’s University, Halifax, Canada
4 Department of Biology, Leverhulme Centre for Anthropocene Biodiversity, University of York, York, United Kingdom
Parce que la présence d'une grande variété d'espèces sur terre est essentielle pour la santé humaine et notre économie, des zones de conservation ont été créées dans le monde entier. Ces efforts de conservation se concentrent principalement sur les "Belles", comme les pandas ou les tigres. De nombreuses autres espèces ne sont pas aussi charismatiques et sont donc simplement considérées comme des "Bêtes". De nombreuses "Bêtes" mènent une vie invisible dans le sol mais sont extrêmement importantes pour l'humanité.
Nous nous sommes demandé si les efforts de conservation actuels, fondés sur la sauvegarde des "Belles", peuvent contribuer à protéger automatiquement les "Bêtes". En d'autres termes, existe-t-il une grande diversité biologique dans le sol aux endroits où la biodiversité au-dessus du sol est élevée ? Nous avons cartographié la biodiversité au-dessus et en dessous du sol dans le monde entier et constaté qu'il existe de nombreuses régions où la biodiversité au-dessus du sol est élevée et la biodiversité souterraine faible, ou l'inverse. Nos résultats suggèrent que la conservation des "Belles" n’est peut-être pas suffisante pour protéger les "Bêtes". Nous devons prendre en compte la vie souterraine lors de la planification de nouvelles zones de conservation.
QUE NOUS PROCURE LA NATURE ET POURQUOI NOUS EN AVONS BESOIN ?
Lors d’une randonnée dans la nature ou bien d’une balade dans un parc, il y a beaucoup d’animaux et de plantes différents à découvrir. Les oiseaux qui chantent, les abeilles qui bourdonnent, et les jolies fleurs sont beaux par eux-mêmes et nous les apprécions. En outre, ils remplissent des fonctions importantes pour notre écosystème et rendent des services à nous, les humains (c’est ce que l'on appelle les services écosystémiques). Par exemple, les oiseaux peuvent lutter contre des parasites comme les pucerons, et les plantes nous fournissent l'oxygène nécessaire tout en produisant de la nourriture, avec l'aide des abeilles qui dispersent le pollen. La quantité et l'étendue de ces fonctions et services écosystémiques dépendent fortement de la variété des différentes espèces végétales et animales. Cette variété est désignée par le terme biodiversité [1].
De nombreuses espèces végétales et animales dans le monde sont menacées par les activités humaines. L'augmentation de l'agriculture, la déforestation et les changements climatiques dus à l'utilisation excessive de combustibles fossiles ont poussé de nombreuses espèces vers l'extinction [2]. Cette perte d'espèces n'est pas seulement inquiétante en termes de valeur intrinsèque de la nature, mais aussi parce que nous dépendons des services de la nature. Avec la perte continue d'espèces, nous ne perdrons pas seulement une partie de la beauté de la nature, mais aussi un grand nombre de ses fonctions qui sont essentielles à la vie humaine sur terre [3].
LA PROTECTION DE LA BEAUTÉ ET DES SERVICES DE LA NATURE
En protégeant activement certaines régions du monde [4], nous aidons les espèces menacées, en préservant ces dernières ainsi que leurs services pour nous et pour les générations futures. Lorsque nous décidons des zones à protéger, nous choisissons souvent des régions dont les "Belles" sont particulièrement charismatiques et visibles, comme les pandas, les tigres ou les aigles royaux. Ces espèces ont souvent besoin d'un vaste espace vital de qualité et vivent dans des régions qui abritent une grande diversité d'autres espèces. En protégeant ces "Belles", on suppose qu'un grand nombre d'autres animaux et plantes, plus petits, sont aussi automatiquement pris en compte et protégés. Les gens sont plus disposés à investir de l'argent dans les "Belles" parce que tout le monde les connaît et les aime. Qui n'aime pas regarder un panda se balader dans la forêt ?
LES BÊTES EN DESSOUS DE NOUS ET POURQUOI SONT-ILS SOUVENT NÉGLIGÉS ?
Cependant, tous ceux qui ont fait un peu de jardinage ou qui ont exploré le sol sous leurs pieds savent que la nature offre un abri à plus d'espèces que ce que nous pouvons voir à première vue. Sous nos pieds et ceux du panda se cache une communauté de vers de terre, de fourmis, d'araignées, de collemboles, de mille-pattes et de coléoptères. Si nous regardons de plus près (par exemple avec un microscope), on peut également trouver de minuscules bactéries et champignons dans le sol. Comme les oiseaux, les fleurs et les abeilles, toutes ces espèces souterraines remplissent des fonctions et des services importants. Par exemple, les champignons et les collemboles digèrent le bois et les feuilles, fournissant ainsi des nutriments au sol et aux plantes. Les vers de terre ameublissent le sol et permettent à l'air de pénétrer dans le sol, le rendant plus productif. Les centipèdes et les araignées contrôlent les nuisibles et empêchent ainsi les espèces nuisibles de prendre le dessus.
Bien que les espèces souterraines remplissent des rôles vitaux et fournissent des services importants, elles sont souvent négligées. Les scientifiques commencent tout juste à connaître le nombre d'espèces présentes dans le sol et à comprendre la façon dont ces espèces collaborent de différentes manières pour façonner les processus souterrains. Plusieurs raisons expliquent ce manque de connaissances. Le sol n’est pas facilement accessible (ou de voir au travers), ce qui rend les expériences, le suivi et les études d'observation difficiles à planifier et à réaliser. De plus, de nombreux acteurs importants des systèmes souterrains sont minuscules et accomplissent leur travail en secret. Certaines personnes considèrent même les animaux du sol comme des "Bêtes". Les vers, les insectes, les araignées, les bactéries et les champignons sont rarement considérés comme des "Belles", bien que leurs apparences et leurs modes de vie étrangers aient leur propre charme. Cependant, lors de la création de nouvelles zones protégées, ces problèmes conduisent à laisser de côté les espèces souterraines.
POUVONS-NOUS SAUVER LA « BÊTE » EN PROTEGEANT LA « BELLE » ?
Lors de notre recherche, nous nous sommes demandé si nous protégerions automatiquement les « Bêtes » importantes du sol comme les vers de terre en choisissant de protéger des zones basées sur les « Belles » au-dessus du sol comme le panda. Pouvons-nous sauver la « Bête » en protégeant la « Belle » ?
Cette question est très importante car cela nous aide à comprendre si la façon actuelle de sélection des zones protégées est assez bonne, ou bien si cela doit être ajustée pour inclure les systèmes écosystémiques qui pourraient être négligés jusqu’à maintenant, mais qui sont essentiels pour le bien-être humain.
COMMENT AVONS-NOUS ABORDÉ CETTE QUESTION ET QU’AVONS-NOUS TROUVÉ ?
Pour déterminer si la protection des espèces au-dessus du sol protège aussi automatiquement les espèces souterraines, nous avons rassemblé de grands jeux de données sur la présence et la diversité des espèces au-dessus du sol (mammifères, oiseaux, amphibiens et plantes) et souterraines (bactéries, champignons et animaux du sol). La plupart des données ont déjà été collectées et publiées par des scientifiques collaborateur.trice.s et certaines informations ont été extraites de bases de données publiques [5]. Nous avons ensuite utilisé des techniques informatiques spéciales (ArcGIS : un logiciel utilisé pour créer des cartes et analyser des informations géographiques) pour créer des cartes afin de montrer les tendances des données dans le monde entier. En analysant et en comparant ces cartes, nous avons pu répondre à notre question.
Quelle était la réponse ? À l’aide de nos cartes (Figure 1), nous avons trouvé un grand nombre de zone où la biodiversité au-dessus et dans le sol sont toutes les deux élevées (« concordance »), comme dans de nombreuses régions tropicales du globe (Figure 1 – zones vertes). Toutefois, nous nous sommes aussi aperçus qu’il y a beaucoup de zones où la biodiversité au-dessus du sol est grande et la biodiversité souterraine est basse (Figure 1 – zones orange), ou l’inverse (Figure 1 – zones turquoise) (« discordance »). Un exemple d’une biodiversité souterraine riche mais une diversité au-dessus du sol pauvre est les régions au nord de la Terre, comme les vastes étendus de toundra et les régions boréales dans l’hémisphère nord. La surface totale de la discordance, où il n’est pas possible de protéger les « Bêtes » (diversité souterraine) simplement en protégeant les « Belles » (diversité au-dessus du sol), s’étend sur environ un tier de la surface terrestre.
QU’EN EST-IL DE L’AVENIR ?
Au regard de nos résultats, nous suggérons fortement que nous devons adapter la manière dont les experts décident quelles régions sont catégorisées en tant que zones protégées (Figure 2). Bien qu’il soit très important de protéger l’habitat des « Belles » comme le panda ou le tigre, nous devons faire attention à ne pas négliger les « Bêtes » dans le sol, qui sont très important pour notre bien-être. Si nous nous concentrons seulement sur les zones contenant les « Belles », nous risquons de perdre énormément d’espèce du sol ainsi que leurs services (exemples : stockage du carbone dans le sol, purification de l’eau, cycle des nutriments), car ces espèces du sol peuvent être très diversifiés dans les régions du monde où les « Belles » le sont moins.
Les résultats de cette étude marquent seulement le début de nouvelles démarches pour la conservation de la nature. Puisque le sol n’est pas facilement accessible, nous avons encore besoin de beaucoup plus d’information sur les menaces sur les processus souterrains et les organismes du sol, ainsi que sur les rôles, les besoins, et les comportements de ces organismes. Cela aiderait à faire des recommandations quant aux zones à protéger et un ajustement général des pratiques agricoles et industrielles communes en dehors des aires de conservations. Par conséquent, une prochaine étape importante est d’augmenter les connaissances globales sur les espèces souterraines dans le mode entier, en conduisant des études et des programmes de suivi. Fondamentalement, cela signifie que nous devons aller « plus en profondeur » ! Afin de permettre aux scientifiques de réaliser cet important travail, il est essentiel de sensibiliser aussi bien le public général que les gouvernements à propos de l’importance des curieuses « Bêtes » en dessous de nos pieds.
GLOSSAIRE
Services écosystémiques
Fonctions et processus d’un écosystème qui, d’une certaine manière, bénéficient aux humains. Par exemple, les productions de fruit, de bois et d’oxygène, ou la purification de l’eau.
Biodiversité
La biodiversité décrit la variété et la variabilité de la vie. En fonction du contexte, elle peut se reporter à différentes mesures. La plus commune est le nombre et la variété des différentes espèces à un endroit donné.
Extinction
La disparition permanente d’une espèce. Une extinction peut être due à un incident naturel (comme pour les dinosaures) ou bien aux actions humaines (tel que pour les dodos).
Valeur intrinsèque
Une valeur qui vient de l’intérieur. Valorisée pour ce qu'elle est, plutôt que pour ce qu'elle vaut.
Base de données publiques
Une collection organisée de données qui peuvent être accessible par les scientifiques ou bien le public venant du monde entier.
RÉFÉRENCES
- Merritt M, Maldaner ME, de Almeida AMR. What Are Biodiversity Hotspots? Front Young Minds (2019) 7:29. doi:10.3389/frym.2019.00029
- IPBES, “Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services”, (IPBES Secretariat, Bonn, Germany, 2019).
- Cardinale BJ, Duffy JE, Gonzalez A, Hooper DU, Perrings C, Venail P, Narwani A, Mace GM, Tilman D, Wardle DA, et al. Biodiversity loss and its impact on humanity. Nature (2012) 486:59–67. doi:10.1038/nature11148
- UNEP-WCMC, IUCN (2020). Protected Planet: The World Database on Protected Areas (WDPA). Available at: www.protectedplanet.net [Accessed April 8, 2020]
- Cameron EK, Martins IS, Lavelle P, Mathieu J, Tedersoo L, Bahram M, Gottschall F, Guerra CA, Hines J, Patoine G, et al. Global mismatches in aboveground and belowground biodiversity. Conservation Biology (2019) 33:1187–1192. doi:10.1111/cobi.13311
ÉDITÉ PAR: Vishal Shah, West Chester University, United States
CITATION: Phillips HRP, Cameron EK and Eisenhauer N (2021) Earthworms of the World. Front. Young Minds 9:547660. doi: 10.3389/frym.2021.547660
DECLARATION DE CONFLIT D’INTERETS : Les auteurs déclarent que la recherche a été menée en l'absence de toute relation commerciale ou financière qui pourrait être interprétée comme un conflit d'intérêts potentiel.
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FELIX GOTTSCHALL
Déjà enfant, Felix était fasciné par les dinosaures et par toutes sortes d'animaux éteints. Après avoir mémorisé tous ses livres d'enfant, il passait pas mal de temps dans les musées etimaginait ce que serait la recherche d'animaux disparus depuis longtemps. Au fil du temps, son intérêt s'est porté sur les animaux vivants, comme les oiseaux (qui sont en fait des dinosaures !), et il a commencé à étudier la biologie. En tant que scientifique, il a travaillé sur de nombreux sujets différents, des escargots phosphorescents à la vie souterraine en passant par la cime des arbres assoiffés. Au lieu de creuser pour trouver des dinosaures, il creuse maintenant pour trouver des bactéries dans le sol, et il y voit toujours une aventure.
ERIN K. CAMERON
Erin aimait jouer dehors lorsqu'elle était enfant, mais n'envisageait pas de devenir biologiste. Cependant, elle a commencé à participer à des recherches sur l'impact de l'activité humaine sur les passereaux et a trouvé cela fascinant. les activités humaines affectent les oiseaux chanteurs et elle a trouvé cela fascinant. Lorsqu'elle a commencé à travailler sur les organismes du sol et qu'elle a vu tout ce qu'on ignorait encore à leur sujet, elle a été convaincue qu'elle voulait étudier la biologie. qu'elle voulait étudier la biologie. Aujourd'hui, elle étudie comment les activités humaines affectent la biodiversité du sol et le fonctionnement des écosystèmes. Erin aime également faire du ski de fond, du vélo et du kayak pendant son temps libre.
INÊS S. MARTINS
Inês a toujours aimé apprendre comment les choses sont créées, d'où elles viennent et comment elles évoluent. Il n'y a rien de mieux que la nature pour poser ce genre de questions. Il n'est donc pas surprenant qu'Inês ait choisi de faire de la biologie à l'école. Pendant ses études, elle est devenue particulièrement intéressée par l'influence de l'homme sur les organismes en modifiant leurs habitats. sur les organismes en modifiant leurs habitats. Aujourd'hui, elle passe ses journées à essayer de modéliser et de comprendre comment la biodiversité réagit aux changements environnementaux passés et ceux possibles du futur sur de vastes régions du monde. En dehors du travail, Inês aime faire du sport, aller au cinéma et simplement passer du temps avec ses amis et sa famille.
JULIA SIEBERT
Julia est fascinée par la nature depuis son enfance. Elle passait le plus de temps possible à l'extérieur, construisait des maisons en mousse dans la forêt et cherchait toutes sortes d'animaux. Elle a poursuivi cette passion en étudiant la biologie et les sciences de la communication et s'est toujours efforcée de trouver des moyens de transmettre des connaissances à différents publics. Ses études scientifiques se sont concentrées sur les effets sur les organismes du sol et leurs fonctions écosystémiques dans les agroécosystèmes. En outre, elle a étudié les moyens d'intéresser les élèves à la science de la biodiversité. Pendant son temps libre, elle aime faire de l'équitation, voyager, observer les oiseaux, faire du vélo tout terrain et toutes sortes de sports de plein air.
NICO EISENHAUER
Nico s'intéresse à la nature depuis sa plus tendre enfance. Il creusait pour trouver des vers de terre, attrapait des grenouilles et des poissons et aidait les lézards à survivre pendant les mois d'hiver. Il a toujours été fasciné par la beauté de la nature et motivé par la question de savoir pourquoi une espèce végétale ou animale spécifique se trouve à un endroit et pas à un autre. Au cours de ses études de biologie, il a découvert son intérêt pour les animaux du sol et leurs activités importantes qui sont cruciales pour le fonctionnement des écosystèmes. Lorsqu'il n'est pas au travail, Nico aime jouer au football et au badminton, courir, et passer du temps avec sa famille et ses amis.
TRADUCTEUR
FLAVIEN COLLART
Département de l’écologie et de l’évolution, Université de Lausanne, Lausanne, Suisse.