Les minuscules champignons du sol soignent la nature
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Lena Neuenkamp 1* et Nadia I. Maaroufi 1,2
1 Institute of Plant Sciences, Université de Berne, Berne, Suisse
2 Department of Forest Mycology and Plant Pathology, BioCenter, Swedish University of Agricultural Sciences (SLU), Uppsala, Suède
Tout comme les êtres humains, les espèces végétales et animales vivent dans des lieux spécifiques où elles se sentent bien. C’est ce qu’on appelle un écosystème. Si l’écosystème change de façon trop importante, certaines espèces disparaissent, un peu comme les humains fuient le désert qui est trop chaud et sec pour eux. L’homme transforme de nombreux écosystèmes, parfois à tel point qu’il n’y a presque plus d’espèces végétales ou animales qui peuvent y vivre. Pour aider les écosystèmes endommagés à se régénérer, notre premier réflexe est souvent de planter des arbres ou d’autres plantes. Des biologistes ont découvert que les champignons mycorhiziens, de minuscules champignons vivant dans le sol et les racines des plantes, avaient le pouvoir d’accélérer la régénération des écosystèmes en permettant aux plantes de repousser plus vite et plus fortes qu’avant. Dans cet article, nous décrivons de quelle façon les champignons mycorhiziens facilitent la régénération des écosystèmes et dans quelles circonstances ils sont les plus utiles.
LES ÉCOSYSTÈMES DÉGRADÉS ONT BESOIN DE NOTRE AIDE
Les écosystèmes naturels, comme les forêts, les prairies ou les tourbières, ont de nombreuses fonctions. Ils abritent des espèces végétales et animales, et de minuscules microorganismes indigènes qui vivent dans le sol. Certains écosystèmes ont même la capacité de filtrer et de stocker l’eau, de capturer l’excès de carbone présent dans l’atmosphère et de préserver la santé du sol pour que les plantes puissent pousser et produire des fruits et des légumes pour notre alimentation. Les écosystèmes assurent ces fonctions lorsqu’ils sont sains et intacts, mais il arrive parfois qu’ils soient perturbés et cessent de fonctionner correctement. C’est ce qui se produit, par exemple, avec les feux, les inondations ou encore les chutes d’arbres lors des tempêtes. Heureusement, les écosystèmes sains se remettent facilement de ces perturbations. Toutefois, si ces dernières surviennent de façon fréquente sur une période prolongée, ou si elles sont très intenses, les écosystèmes ont plus de mal à se régénérer et risquent alors de changer. Par exemple, une forêt peut devenir une prairie si une tempête très violente fait tomber tous les arbres. Ou bien, après une longue période de sécheresse (lorsque les plantes n’ont pas assez d’eau pour survivre), les plantes peuvent avoir du mal à repousser même si de l’eau est à nouveau disponible. Les écosystèmes qui changent après avoir subi des perturbations, c’est-à-dire qui perdent en complexité et qui abritent moins d’espèces, sont appelés écosystèmes dégradés.
L’homme utilise les écosystèmes pour étendre les villes, pour produire de la nourriture sur les terres agricoles ou pour extraire des pierres, du sable ou des métaux destinés à la construction ou à la fabrication. Souvent, ces activités humaines perturbent les écosystèmes si fortement et si longtemps qu’ils se retrouvent dans une situation critique où ils ne peuvent plus se régénérer sans aide. Les écologues, c’est-à-dire les scientifiques qui étudient le fonctionnement des écosystèmes et les espèces qu'ils abritent, peuvent contribuer à la restauration des écosystèmes dégradés en les aidant à retrouver leur santé et leurs fonctions. Pour ce faire, les écologues plantent des arbres afin d’aider les forêts à se régénérer après l’abattage d’arbres destinés à la production de bois ou sèment des espèces végétales pour favoriser la reconstitution des prairies qui ont été utilisées comme terres agricoles. Toutefois, malgré ce petit coup de pouce, il arrive que les nouvelles plantes peinent à pousser ou que les écosystèmes ne reviennent pas à leur état initial. Pour quelles raisons le processus de restauration n’aboutit-il pas toujours au résultat attendu ? Les écologues ont récemment compris que pour restaurer efficacement un écosystème, il fallait s’occuper à la fois des plantes et des espèces animales en surface, mais aussi des organismes qui vivent sous terre, dans le sol.
POURQUOI LES MINUSCULES CRÉATURES QUI VIVENT DANS LE SOL SONT-ELLES SI IMPORTANTES ?
Puisque les plantes ne peuvent pas se déplacer, elles utilisent leurs racines pour puiser des éléments nutritifs et de l’eau dans le sol. Le sol est une composante importante de l’écosystème et abrite de nombreuses petites créatures[1]. Il y a plus de microorganismes présents dans un échantillon de sol prélevé avec une cuillère à café que d’êtres humains sur Terre, soit environ 7,5 milliards[2] (Figure 1A) ! Toutes ces petites créatures interagissent entre elles et contribuent au fonctionnement de l’écosystème, si bien que la santé de ces organismes du sol est certainement très importante pour la restauration de l’écosystème. Les bactéries et les champignons sont les organismes présents en majorité dans le sol. Certains d’entre eux, appelés décomposeurs, se nourrissent de plantes mortes et décomposent la matière végétale qui retourne ensuite dans le sol [3]. D’autres organismes du sol dits pathogènes peuvent attaquer les racines des plantes et les rendre malades. D’autres organismes encore, appelés symbiontes, forment une association avec les plantes en vue d’échanger des éléments nutritifs. D’après les chercheurs, les champignons mycorhiziens, qui font partie de la catégorie des symbiontes, seraient utiles pour la restauration des écosystèmes [4, 5] (Figure 1B).
LES CHAMPIGNONS MYCORHIZIENS ONT LE POUVOIR DE SOIGNER LES PLANTES
Avec l’aide des champignons mycorhiziens, les racines des plantes parviennent à puiser davantage d’éléments nutritifs et d’eau dans le sol, ce qui leur assure une meilleure croissance. Ils portent donc plutôt bien leur nom de champignons auxiliaires. Ces champignons auxiliaires servent aussi de protection contre les pathogènes qui rendent les plantes malades. En échange des services rendus, les champignons auxiliaires ont accès au carbone des plantes, un élément nutritif qu’elles produisent grâce à la lumière du soleil lors de la photosynthèse. Cette relation d’échange avantageuse à la fois pour les plantes et les champignons porte le nom de symbiose. Les écologues ont étudié les effets des champignons auxiliaires sur la restauration des écosystèmes (Figure 2). L’inoculation du sol désigne le procédé qui consiste à introduire des champignons auxiliaires dans le sol. Les études menées pour évaluer les effets de l’inoculation du sol sur la restauration des écosystèmes ont montré que les jeunes arbres replantés et les graminées poussaient mieux lorsque des champignons auxiliaires étaient introduits dans le sol [4]. Par ailleurs, les études ont révélé que les prairies restaurées avec l’aide de champignons auxiliaires abritaient un plus grand nombre d’espèces végétales.
LES CHAMPIGNONS AUXILIAIRES ONT UNE EFFICACITÉ VARIABLE
Les champignons auxiliaires et les plantes peuvent former différents types d’associations. Ce sont les espèces de champignons les plus abondantes dans un écosystème donné qui déterminent la nature de cette association (Figure 1B). Les plantes et les champignons auxiliaires n’ont pas besoin les uns des autres au même moment et dans la même mesure. Par ailleurs les ressources qu’ils échangent et les services qu’ils se rendent ne sont pas toujours équitables. Ainsi, les écosystèmes composés de plantes fortement dépendantes des champignons auxiliaires ont plus besoin des champignons mycorhiziens pour se soigner et se régénérer que n’importe quel autre écosystème abritant des plantes moins dépendantes [5]. Lorsque les scientifiques ont passé en revue toutes les études portant sur la restauration des écosystèmes à l’aide de champignons auxiliaires, ils se sont aperçus que les bienfaits de ces derniers variaient d’une étude à l’autre [4]. Les champignons auxiliaires permettent donc de soigner les plantes, mais leur efficacité varie selon les plantes et l’écosystème à soigner.
Les scientifiques ont conclu que les champignons auxiliaires étaient les plus efficaces dans les trois cas de figure suivants :
- Lorsque les plantes abritent des bactéries dans leurs racines et, par conséquent, « mangent pour deux », à savoir pour elles-mêmes et les bactéries (des plants de pois ou de haricots, par exemple).
- Lorsque les plantes ont du mal à trouver des éléments nutritifs, car leurs racines sont trop grosses pour pénétrer dans les petits espaces poreux du sol dans lesquels se cachent de nombreux nutriments (comme certaines graminées).
- Lorsque les plantes poussent sur des sols qui sont à la fois fortement perturbés et pauvres en nutriments.
AIDER AUSSI LES PLANTES D’INTÉRIEUR
Environ 80 % de l’ensemble des plantes, y compris celles d’intérieur, forment une symbiose avec un type de champignon auxiliaire appelé champignon mycorhizien à arbuscules. Pour garder ses plantes d’intérieur en pleine forme, il est possible de créer soi-même un inoculum de champignon mycorhizien à arbuscules (Figure 3). C’est ce que font déjà de nombreux jardiniers ! Pour ce faire, il faut une pelle, un seau de 10 litres pour mélanger la terre, 3 à 5 litres de sable, des graines de graminées et de trèfle, ainsi que 4 à 6 pots de fleurs.
Protocole à suivre:
- Choix des plantes : choisir une ou deux plantes du jardin qui forment une symbiose avec les champignons mycorhiziens à arbuscules (par exemple, une graminée et un trèfle) et les déterrer en conservant une bonne quantité de terre autour des racines.
- Création de l’inoculum source : retirer les feuilles et les tiges des deux plantes, couper les racines en petits morceaux et bien les mélanger à la terre. Ce mélange forme l’inoculum source, que nous allons multiplier pour éviter de déterrer trop de plantes du jardin.
- Multiplication de l’inoculum : mélanger l’inoculum source avec le sable (un volume d’inoculum pour un à deux volumes de sable) et remplir les pots de fleurs avec ce mélange. Placer les graines de graminées et de trèfle dans les pots, arroser et laisser pousser pendant 2 à 4 mois. Les espèces semées sont favorables aux mycorhizes, c’est-à-dire qu’elles attirent les champignons mycorhiziens à arbuscules. Lorsque ces espèces favorables aux mycorhizes commencent à pousser, les champignons mycorhiziens à arbuscules colonisent leurs racines et la population fongique augmente. Plus la croissance des plantes est longue, plus les champignons seront nombreux dans le sol.
- Récolte de l’inoculum : après 2 à 4 mois, enlever toutes les feuilles des plantes favorables aux mycorhizes, couper les racines en petits morceaux et les mélanger à la terre. L’inoculum est maintenant prêt. Il peut être utilisé sec ou mélangé à de l’eau et ajouté en petite quantité à la terre des plantes en pot.
À RETENIR
Les activités humaines peuvent dégrader les écosystèmes si gravement qu’ils ont besoin d’aide pour se régénérer. Par leur rôle d’auxiliaires, les champignons mycorhiziens contribuent à la restauration des écosystèmes, car ils facilitent l’absorption des nutriments par les plantes et protègent ces dernières contre les maladies ou la sécheresse. Il existe différents types de champignons auxiliaires et chacun à ses propriétés. Ainsi, en fonction des plantes et de l’écosystème à restaurer, il est possible de déterminer les champignons auxiliaires qui seront les plus efficaces et le meilleur moment pour les introduire.
GLOSSAIRE
ÉCOSYSTÈME
Environnement colonisé par différents organismes qui cohabitent et interagissent.
ÉCOSYSTÈME DÉGRADÉ
Écosystème qui a été détérioré ou détruit, ce qui a aussi des conséquences négatives sur les organismes qui y vivent et empêche le fonctionnement de l’écosystème.
ÉCOLOGUE
Scientifique qui étudie le fonctionnement des écosystèmes et les interactions des organismes d’un écosystème donné à la fois entre eux et avec l’environnement.
DÉCOMPOSEURS
Organismes qui se nourrissent des matières végétales et animales mortes en les décomposant en différents éléments nutritifs qui sont libérés dans le sol. Les plantes absorbent ensuite ces éléments nutritifs dans le sol pour s’alimenter. Une grande partie des décomposeurs sont des champignons.
SYMBIONTES/ CHAMPIGNONS SYMBIOTIQUES
Organismes qui cohabitent et s’entraident. Par exemple, les champignons symbiotiques comme les champignons mycorhiziens vivent dans les racines des plantes et les aident à absorber des éléments nutritifs dans le sol. En retour, les champignons bénéficient d’un accès au carbone produit par les plantes grâce à leurs feuilles.
CHAMPIGNONS MYCORHIZIENS
Catégorie de champignons vivant dans le sol et dans les racines des plantes. Les champignons mycorhiziens aident les plantes à absorber les nutriments et à faire face aux épisodes de sécheresse et aux maladies provoquées par d’autres champignons. En retour, les plantes leur fournissent des éléments nutritifs.
PATHOGÈNES/ CHAMPIGNONS PATHOGÈNES
Organismes responsables de maladies. Par exemple, un champignon pathogène qui fait brunir les feuilles des plantes et empêche la photosynthèse.
INOCULATION DU SOL
Introduction d’organismes (des champignons mycorhiziens ou des bactéries, par exemple) dans le sol pour stimuler la croissance des plantes.
CONTRIBUTIONS DES AUTEURS
L’idée originale vient de LN et NM, qui ont rédigé la première version du manuscrit. Tous les auteurs ont approuvé la version finale de l’article.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
- Maaroufi, N. I., and De Long, J. R. 2020. Global change impacts on forest soils: linkage between soil biota and carbon-nitrogen-phosphorus stoichiometry. Front. For. Glob. Change 3:16. doi: 10.3389/ffgc.2020.00016
- Accessible en ligne à l’adresse www.soil-net.com (consulté le 6 novembre 2020).
- Maaroufi, N. I., Nordin, A., Palmqvist, K., Hasselquist, N. J., Forsmark, B., Rosentstock, N. P., et al. 2019. Anthropogenic nitrogen enrichment enhances soil carbon accumulation by impacting saprotrophs rather than ectomycorrhizal fungal activity. Glob. Change Biol. 25:2900–14. doi: 10.1111/gcb.14722
- Neuenkamp, L., Prober, S. M., Price, J. N., Zobel, M., and Standish, R. J. 2019. Benefits of mycorrhizal inoculation to ecological restoration depend on plant functional type, restoration context and time. Fungal Ecol. 40:140–9. doi: 10.1016/j.funeco.2018.05.004
- Neuenkamp, L., Moora, M., Öpik, M., Davison, J., Gerz, M., Männistö, M., et al. 2018. The role of mycorrhizal type and status in modulating the relationship between plant and arbuscular mycorrhizal fungal communities. New Phytol. 220:1236–47. doi: 10.1111/nph.14995
ÉDITION: Helen Phillips, German Centre for Integrative Biodiversity Research (iDiv), Germany
CITATION: Neuenkamp L and Maaroufi NI (2020) Tiny Fungi in the Soil Are Like Medicine for Nature. Front. Young Minds 8:557383. doi: 10.3389/frym.2020.557383
CONFLIT D’INTÉRÊTS : Les auteurs déclarent que ces recherches ont été menées en l’absence de toute relation commerciale ou financière qui pourrait être interprétée comme un conflit d’intérêts potentiel.
COPYRIGHT © 2020 Neuenkamp et Maaroufi. Cet article est en accès libre selon les termes de la licence Creative Commons Attribution (CC- BY). Son utilisation, sa distribution ou sa reproduction par tous moyens et sous tous formats est autorisée, à condition que le(s) auteur(s) original(aux) et le(s) titulaire(s) du droit d’auteur soient crédités, et que la publication originale dans ce journal soit citée, conformément aux pratiques académiques acceptées. Toute utilisation, distribution ou reproduction non conforme à ces conditions est interdite.
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AUTEURS
LENA NEUENKAMP
Lena est écologue spécialisée dans les plantes et a commencé à étudier le sol parce qu’il pouvait l’aider à comprendre les plantes. C’est comme ça qu’est née sa passion pour les champignons mycorhiziens et leurs interactions avec les racines des plantes. Elle est chercheuse à l’Université de Berne en Suisse. Elle tente de comprendre comment les perturbations humaines et le changement climatique influencent les populations végétales et pédologiques, ainsi que les interactions entre les plantes et les organismes du sol. Elle souhaite utiliser ces connaissances pour prédire la façon dont les écosystèmes peuvent fonctionner et rendre des services à l’Homme, compte tenu des perturbations humaines actuelles et du changement climatique. *lena.neuenkamp@ips.unibe.ch
NADIA I. MAAROUFI
Nadia est écologue spécialisée dans l’étude des sols et s’intéresse aux petites créatures qui peuplent le sol. Elle travaille à l’Université de Berne en Suisse et à la Swedish University of Agricultural Sciences à Uppsala en Suède. Elle cherche à comprendre l’incidence des perturbations humaines et naturelles sur les organismes du sol, ainsi que l’incidence de ces perturbations sur le fonctionnement des écosystèmes forestiers et des prairies.
TRADUCTRICE
CAROLINE PEQUEGNOT
Caroline est traductrice indépendante depuis 2018 et se spécialise dans les domaines de l’agriculture et de l’environnement. Elle s’intéresse tout particulièrement à l’apiculture et aux innovations agronomiques. Elle considère les langues non seulement comme une passerelle entre les cultures, mais aussi une voie d’accès à la connaissance. www.linkedin.com/in/caroline-pequegnot-translation/
FUNDING (TRANSLATION)
The team Translating Soil Biodiversity acknowledges support of the German Centre for integrative Biodiversity Research (iDiv) Halle-Jena-Leipzig funded by the German Research Foundation (DFG FZT 118, 202548816).