Les tout petits prédateurs du sol: qui sont-ils et que font-ils?
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Stefan Geisen 1,2*
1 Laboratoire de Nématologie, Université de Wageningen, Wageningen, Pays-Bas
2 Département d'écologie terrestre, Institut néerlandais d'écologie NIOO-KNAW, Wageningen, Pays-Bas
Il y a des millions d’espèces vivant dans le sol. La plupart de cette biodiversité est faite de bactéries et de champignons, organismes minuscules qui forment ce que l’on appelle le microbiome du sol. La taille et la composition du microbiome sont principalement contrôlées par deux groupes de prédateurs: les protistes et les nématodes.
Les protistes sont de minuscules organismes faits d’une seule cellule. Les nématodes, eux, sont de petits vers. Ils sont les animaux les plus nombreux sur Terre. Bien que petits, protistes et nématodes ensemble pèsent plus que tous les autres animaux de la Terre réunis. Ils maintiennent l'équilibre du microbiome du sol, ce qui favorise la croissance des plantes et le bon fonctionnement du sol. Sans les protistes et les nématodes prédateurs, les fonctions et services fournis par les sols changeraient tellement que cela pourrait même affecter le climat de la Terre. N’oublions donc pas l’importance de ces minuscules organismes!
LA BIODIVERSITÉ DU SOL
Peut-être le savez-vous déjà mais le sol n’est pas juste de la terre de couleur foncée composée de sable, d'argile et de terreau. Le sol a une forte biodiversité, c’est-à-dire qu’il contient des millions d’organismes de types et de tailles différents. Non seulement le sol abrite une plus grande biodiversité que n’importe quel autre écosystème sur Terre, mais en plus, le poids de tous les organismes du sol (incluant les végétaux dont les racines constituent au moins la moitié de ces organismes) est plus grand que le poids de tous les autres organismes rassemblés [1]. Les organismes du sol varient en taille: ils vont des virus microscopiques aux énormes champignons qui peuvent s’étendre sur des centaines de mètres, et tout ce qu’il y a entre. Cette vie microscopique du sol s’appelle le microbiome du sol. Il est principalement composé de bactéries et de champignons. Sans cette diversité du microbiome, le sol ne serait pas capable de recycler les nutriments et de promouvoir la croissance des plantes. Cet article s’intéresse à deux groupes d’organismes du sol que peu de scientifiques étudient: les protistes et les nématodes. Après avoir lu cet article, j’espère que vous aurez compris pourquoi nous avons besoin de plus étudier ces minuscules organismes.
NÉMATODES ET PROTISTES: DE MINUSCULES PRÉDATEURS
Les prédateurs au sein du microbiome sont des organismes qui se nourrissent de micro-organismes, tels que les bactéries et les champignons [2]. Les protistes et les nématodes comptent parmi les plus importants de ces prédateurs. Les nématodes sont très petits - au moins 100 fois plus petits que la largeur d'un cheveu humain - et ne sont donc pas visibles à l'œil nu. Le nématode le plus connu des scientifiques est un ver rond appelé Caenorhabditis elegans: il qui est fréquemment utilisé dans la recherche. De nombreux scientifiques, médecins, agriculteurs et jardiniers considèrent les nématodes comme des parasites, car certaines espèces peuvent infecter l'homme, et d'autres provoquent des maladies chez les plantes. Dans les sols, certains nématodes se nourrissent de bactéries, de champignons ou même d'autres nématodes, quand d'autres parasitent des animaux et des plantes. Bien que la plupart des nématodes se ressemblent, il en existe des centaines de milliers d'espèces différentes (Figure 1A). Sur Terre, huit animaux sur dix sont des nématodes. Ainsi, pour chaque être humain, il existe 60 milliards de nématodes [3]!
Maintenant, essayez d'imaginer qu'il y a 1 000 fois plus de protistes que de nématodes dans le sol! Les protistes sont des micro-organismes qui ne peuvent être classés ni parmi les animaux ni parmi les plantes. Ce sont des eucaryotes, ce qui signifie qu'ils contiennent un noyau, tout comme les cellules des animaux, des champignons et des plantes. Le terme "protiste" est peut-être nouveau pour vous, mais vous avez déjà probablement entendu parler de certains protistes bien connu. Par exemple, les algues eucaryotes qui réalisent la photosynthèse dans les lacs et les océans sont toutes des protistes. Certaines maladies sont causées par des protistes, comme Plasmodium falciparum qui est responsable du paludisme. Les amibes et les paramécies sont aussi des protistes, et il y en a encore beaucoup d'autres! Il est même probable que la majeure partie de la diversité des eucaryotes sur Terre soit composée de protistes, avec plusieurs millions d'espèces existantes. Cependant, nous connaissons moins d'une espèce sur cent de protistes, et cela en dépit du fait qu’ils accomplissent un large éventail de fonctions dans les sols. La plupart des protistes se nourrissent de bactéries, mais beaucoup d'entre eux se nourrissent également de champignons ou même d'animaux plus gros. Certains protistes peuvent être des parasites de plantes ou d'animaux, tandis que d'autres vivent en relation avec des champignons, comme les lichens [4]. Les protistes ont des formes très diverses et peuvent être magnifiques (Figure 1B)1.
Comme les lions ou autres grands prédateurs, les prédateurs au sein du microbiome consomment de nombreux organismes (Figure 1C, D). Ce faisant, ces petits prédateurs contrôlent la croissance microbienne, modifient les types d'organismes présents dans le sol et aident le sol à remplir ses fonctions essentielles. Généralement, les prédateurs au sein du microbiome se nourrissent des microbes les moins actifs, ce qui permet de maintenir l'ensemble du microbiome plus actif. C’est une stratégie d'alimentation similaire à celle des lions qui eux aussi se nourrissent des individus les plus âgés, les plus lents et/ou les plus faibles. Cette stratégie maintient les individus les plus performants au sein de l'écosystème. La prédation au sein du microbiome entraîne également la libération de nutriments dans les sols, qui peuvent ensuite être absorbés par d'autres microbes et plantes, favorisant ainsi leur développement.
COMMENT POUVONS-NOUS ÉTUDIER LES PRÉDATEURS AU SEIN DU MICROBIOME?
Les nématodes et les protistes étant minuscules et invisibles, les scientifiques sont confrontés à un problème de taille: ils ne peuvent pas les étudier directement dans leur habitat naturel. Une façon d'étudier ces organismes est donc de les isoler de la terre. C'est plus facile pour les nématodes que pour les protistes. Vous pouvez même essayer cette méthode à la maison en utilisant des filtres à café ou des mouchoirs, de l'eau et un bol (Figure 2)2.
L'étude des protistes est plus compliquée car la plupart des protistes du sol adhèrent fortement aux particules du sol. Autrefois, la meilleure façon de les étudier consistait à mettre ensemble de minuscules quantités de sol avec des bactéries, afin d'extraire les protistes se nourrissant de ces bactéries. Cependant, seuls quelques types de protistes peuvent être cultivés de cette manière et, par conséquent, de nombreuses espèces de protistes sont encore inconnues. À l’heure actuelle, les chercheurs utilisent plus souvent des outils moléculaires pour identifier les organismes du sol. Comme des enquêteurs de police, nous pouvons utiliser l'ADN extrait du sol pour identifier ces petits organismes. Comme chaque organisme possède une séquence d'ADN unique, nous pouvons utiliser une technologie de séquençage de l'ADN pour différencier les espèces. Cela permet ainsi de savoir quels sont les organismes présents dans le sol, même si nous ne pouvons ni les voir à l'œil nu ni les cultiver en laboratoire (Figure 3).
Ces méthodes d'extraction, de culture et de séquençage nous indiquent quelles espèces sont présentes dans un échantillon de sol, mais pas ce qu'elles y font. Pour comprendre les fonctions des protistes et des nématodes, il est possible par exemple de cultiver ces prédateurs avec divers micro-organismes proies et d’observer comment ceux-ci interagissent. D'autres approches scientifiques permettent de révéler ce dont se nourrissent les organismes du sol en traçant certains composés du sol à l'aide de méthodes telle que celle décrite dans [5].
POURQUOI DEVRIONS-NOUS NOUS PRÉOCCUPER DES PRÉDATEURS AU SEIN DU MICROBIOME?
Sans les prédateurs vivant au sein du microbiome, nos sols auraient un gros problème... Et un problème avec le sol nous causerait des problèmes! Presque tous les nutriments qui pénètrent dans les sols sont absorbés par les bactéries et les champignons. Si les bactéries présentes dans les sols n'étaient pas contrôlées, les plus nombreuses absorberaient tous les nutriments, et les retiendraient pendant de longues périodes. En effet, dans un microbiome sans prédateurs, les microbes peuvent rester en vie dans le sol pendant des mois, et peuvent même entrer dans une phase de dormance, dans laquelle ils peuvent rester vivant pendant des décennies.
En conséquence, la chaîne alimentaire s'arrêterait et les organismes les plus gros ne pourraient plus survivre. Les plantes absorberaient également beaucoup moins de nutriments du sol et se développeraient plus lentement, voir pas du tout. Les prédateurs au sein du microbiome veillent à ce que cette situation ne se produise pas. En s'attaquant aux microbes et en libérant une partie des nutriments que ces microbes absorbent, ces prédateurs permettent aux plantes d’accéder aux nutriments. En plus, ils peuvent eux-mêmes servir de proies à des organismes plus grands. Ainsi, les prédateurs au sein du microbiome sauvent notre approvisionnement alimentaire en aidant le sol à remplir ses fonctions essentielles.
CONCLUSIONS
Protistes et nématodes font partie des organismes les plus nombreux et les plus riches en biodiversité sur Terre. Ils sont d'importants prédateurs au sein du microbiome et veillent à ce que les sols fonctionnent normalement. En d'autres termes, sans ces prédateurs, la vie dans et sur les sols ne serait pas possible! En effet, ces prédateurs sont d'une importance capitale pour la croissance des plantes et jouent également un rôle essentiel dans d'autres processus microbiens au sein des sols en bonne santé. Améliorer nos connaissances sur les protistes et les nématodes nous permet de mieux comprendre comment les sols fonctionnent. Apprendre à ajuster les types de prédateurs et leur nombre au sein du microbiome du sol, nous permettrait de contribuer à maintenir le microbiome du sol en bonne santé et à protéger les fonctions du sol. Le rôle crucial de ces prédateurs montre clairement que nous ne devrions oublier aucun groupe d'espèces sur la planète, car même les plus petits organismes peuvent avoir un rôle essentiel permettant de maintenir en vie de nombreux autres organismes, y compris les humains!
GLOSSAIRE
Prédateur du microbiome
Les organismes qui mangent des bactéries et champignons.
Microorganismes ou microbes
Minuscules organismes incluant les bactéries, les champignons et les protistes.
Microbiome du sol
Tous les organismes qui vivent dans le sol.
Biodiversité
La variété d’espèces dans un écosystème.
Nématodes
Minuscules vers qui vivent dans différents types d’habitat et à l'intérieur d’hôtes. C’est l’animal le plus abondant sur Terre.
Protistes
Tous les eucaryotes à part les champignons, les animaux et les plantes. La plupart sont unicellulaires.
Eucaryotes
Organismes qui ont des noyaux dans leurs cellules, dans lesquels se trouve l'ADN. Les champignons, les protistes, les plantes et les animaux font partie des eucaryotes.
Séquençage de l'ADN
Méthode pour déterminer la séquence d'ADN des organismes. Elle peut être utilisée pour identifier les organismes.
NOTES DE BAS DE PAGE:
1 Pour une vue d'ensemble des formes des protistes, voir: http://penard.de/Key/
2 Voici un guide en ligne: https://www.ars.usda.gov/northeast-area/beltsville-md-barc/beltsville-agricultural-research-center/mycology-and-nematology-genetic-diversity-and-biology-laboratory/people/zafar-handoo/extracting-nematodes-from-soil-samples/
RÉFÉRENCES
- Bar-On, Y. M., Phillips, R., and Milo, R. 2018. The biomass distribution on Earth. Proc. Natl. Acad. U.S.A. 115:6506–11. doi: 10.1073/pnas.1711842115
- Thakur, M. P., and Geisen, S. 2019. Trophic regulations of the soil microbiome. Trends Microbiol. 27:771–80. doi: 10.1016/j.tim.2019.04.008
- van den Hoogen, J., Geisen, S., Routh, D., Ferris, H., Traunspurger, W., Wardle, D.A., et al. 2019. Soil nematode abundance and functional group composition at a global scale. Nature 572:194–98. doi: 10.1038/s41586-019-1418-6
- Geisen, S., Mitchell, E. A. D., Adl, S., Bonkowski, M., Dunthorn, M., Ekelund, F., et al. 2018. Soil protists: a fertile frontier in soil biology research. FEMS Microbiol. Rev. 42:293–323. doi: 10.1093/femsre/fuy006
- Erktan, A., Pollierer, M., and Scheu, S. 2020. Soil ecologists as detectives discovering who eats whom or what in the soil. Front. Young Minds 8:544803. doi: 10.3389/frym.2020.544803
ÉDITÉ PAR : Rémy Beugnon, German Centre for Integrative Biodiversity Research (iDiv), Germany
CITATION: Geisen S (2021) Super-Small Predators in Soils: Who Are They and What Do They Do? Front. Young Minds 9:597620. doi: 10.3389/frym.2021.597620
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JEUNE RELECTRICE
AYA, Âge: 10
Aya veut étudier la biologie marine. Elle souhaite devenir spécialiste des requins et des raies. Ses matières préférées à l'école sont la lecture, l'écriture, les mathématiques et la musique. Pendant son temps libre, Aya aime lire des livres, réaliser des puzzles difficiles, s'entraîner pour l'athlétisme et le cross-country, et jouer du violon.
AUTEUR
STEFAN GEISEN
Stefan Geisen est assistant professeur au laboratoire de nématologie de l'université de Wageningen, aux Pays-Bas. Il essaie de comprendre les organismes vivants dans le sol: il s'intéresse à ce qui vit dans le sol et à ce que les organismes du sol font pour l'écosystème et pour nous au travers leurs effets sur la croissance des plantes. Ainsi, la plupart de ses travaux portent sur les protistes et les nématodes, petits organismes qui sont les principaux prédateurs des microbes du sol. Il est père de trois garçons et, pendant son temps libre, il aime rencontrer ses amis et faire du sport. *stefan.geisen@wur.nl
TRADUCTEURS
LISE THOUVENOT et BENOIT GAUZENS
FINANCEMENT (TRADUCTION)
L'équipe Translating Soil Biodiversity remercie le Centre allemand de recherche intégrative sur la biodiversité (iDiv) Halle-Iéna-Leipzig, financé par la Fondation allemande pour la recherche (DFG ; DFG FZT 118, 202548816).